L'ECOLE FRANCAISE D'EXTREME ORIENT (EFEO)
L'ECOLE FRANCAISE D'EXTREME ORIENT (EFEO)
(par François GROS , Directeur de l'École française d'Extrême-Orient)
Trop
souvent peut-être on a identifié l’œuvre de l'École française d'Extrême-orient
(EFEO) à la Conservation d'Angkor et le groupe d'Angkor au Cambodge tout
entier. En fait, l'École exerce son activité en Asie bien au-delà de l'aire
de culture khmère et celle-ci déborde largement le cadre de son ensemble
monumental le plus prestigieux. Dans le temps,
I
'École apparut environ dix ans avant que fût instituée la conservation
d'Angkor par l'arrêté du) mars 1908 portant
Jean Commaille à sa tête, mais dès
l'origine, le périple de Louis Finot, premier directeur de l'École, et du
Commandant Lunet de Lajonquière avait révélé l'ampleur d'une tâche qui
n'allait plus cesser de susciter le travail passionné de générations de
savants français aux compétences les plus diverses. Pages glorieuses et érudites
à la fois, teintées de pourpre comme il se doit pour une épopée: Commaille
assassiné en 1916 sur la route de Siem Reap à Angkor Vat, l'architecte Trouvé
disparu en 1935, George Groslier , créateur
du Musée national du Cambodge à Phnom Penh, dans les mains de la gendarmerie
japonaise en juin 1945. . . Son fils Bernard-Philippe
ne se remit jamais du long exil imposé en 1972, tandis que son vieux compagnon Henri
Marchal avait dès 1945 interrompu sa retraite après plus de trente ans sur
le site pour y reprendre du service et y demeurer jusqu'à sa mort en 1970.
Certaines de ces figures de proue sont évoquées dans ce numéro, mais le
palmarès est éblouissant. Dès 1921, le bilan des vingt premières années
d'activité de l'EFEO couvrait plus de cinq cents pages dans le tome XXI du
Bulletin de l'École, auquel il faut renvoyer bien des spécialistes !
Les
pionniers de l'archéologie khmère
Le
trait le plus frappant de ce labeur collectif, c'est peutêtre la diversité
des disciplines mises en oeuvre pour dégager la personnalité propre de la
culture cambodgienne. Avec la naissance de l'École paraît la première synthèse
d'E. Aymonier, où s'accumulaient les résultats des premiers explorateurs, des
premiers décrypteurs d'inscriptions, et des premiers inventeurs de monuments.
On avait déjà compris l'importance de la géographie et de la cartographie à
travers la mission Doudart de Lagrée et
Francis Garnier, puis à travers les sept volumes de la mission
Pavie, et la géographie
historique aura tenu dans l'oeuvre de P. Pelliot ou H. Maspéro une place
importante que leurs cadets P. Lévy ou M. Destombes ne renieront pas. Ce sont
les Français qui ont, à la suite des Portugais, tracé la carte de l'Indochine
avant d'y faire ressurgir les monuments et, après le nom de P. Gourou, celui de
J. Delvert (dont la thèse sur Le paysan cambodgien fit date en 1961) symbolise
l'étude de l'espace et de la société khmère contemporaine, étude qui
rejoint l'archéologie au fur et à mesure que s'élargissent les perspectives
et que s'affinent nos moyens d'investigation.
Pavie
traversait l'Indochine à pied, en pirogue ou à dos d'éléphant. Dès 1933
l'aéronavale exécutait une couverture photographique d'Angkor et permettait
une série d' explorations : villes anciennes, canalisations, douves, chaussées
apparaissent, renforçant l'hypothèse de Goloubew sur l'emplacement de la première
ville d'Angkor avec pour centre le Phnom Bakheng. Après la guerre, B.-Ph.
Groslier put reprendre
une prospection aérienne plus systématique, aidée par les couvertures
photographiques de la Royal Air Force. Ce ne sont pas seulement les sites
nouveaux qui apparaissent, mais les réseaux de digues et canaux qui, à la
limite, haussent l'hydraulique à l'éminente dignité des pierres sculptées. Dès
le début des années 1930, Georges Trouvé, inaugurant l'ère des prospections
systématiques, soulignait l'importance du réseau hydraulique d'Angkor. En
1957-58, autour de Roluos, B. Ph. Groslier découvrait
la première « cité hydraulique » du IXe siècle, tandis que les témoignages
européens du XVIe siècle lui assuraient qu'une autre, du XIIe siècle,
fonctionnait encore quelques siècles plus tard à Angkor Thom. Et pendant que,
plus modestement, Gabrielle Martel explorait le monde rural cambodgien autour de
Siem Reap, le conservateur pouvait rêver de l'archéologie d'un empire
agricole: la cité hydraulique angkorienne.
Aujourd'hui, ou demain, c'est avec
la couverture du satellite SPOT que les chercheurs de l'EFEO pourront remettre
en question ses hypothèses et donner à de telles recherches une dimension
nouvelle.
Autre appel aux disciplines voisines pour mieux connaître le monde khmer, la relecture par Paul Pelliot des sources chinoises nous valait dès 1902 une nouvelle traduction des Mémoires sur les Coutumes du Cambodge de Tcheou Ta-kouan, vivant tableau de la civilisation de la fin de l'époque angkorienne, comme plus tard, en 1947, Rolf Stein allait sur des textes chinois poser les principes d'une archéologie du Champa. Parallèlement, les sanscritistes Barth et Bergaigne avaient commencé l'édition et l'interprétation des Inscriptions sanscrites de Campâ et du Cambodge, et Louis Finot, dès 1902, inaugurait une série de Notes d'épigraphie indochinoise poursuivies jusqu'en 1915 et, sous des formes diverses, jusqu'à sa disparition. L'oeuvre de George Coedès débutée en 1904, menée sans relâche et continuée aujourd'hui par Claude Jacques, a permis de constituer le merveilleux corpus des Inscriptions du Cambodge, sur lequel s'élabore encore la recherche la plus fondamentale sur l'histoire dynastique et sociale du Cambodge.
On ne saurait toutefois oublier un autre apport indianiste, toujours dans le cadre de l'EFEO, et non moins essentiel à l'interprétation de la culture khmère, celui des sanscritistes qui, à l'invitation même de George Coedès, ont puisé dans les sources indiennes l'interprétation des documents khmers, tels K. Bhattacharya en quête des religions brâhmaniques dans le Cambodge ancien, ou S. Sahai qui en étudia les institutions. Des travaux plus spéculatifs sur l'hindouisation du Cambodge ont trouvé place sous la plume de Jean Filliozat ou d'autres sur la philologie bouddhique sous la signature de Paul Mus, après celle d'Alfred Foucher. Mais les récents débats invitent à la prudence sur la signification symbolique des monuments malgré le choc illuminant des textes. Peut-être la culture âgamique du sanscritiste et la fréquentation du terrain cambodgien attendent-elles encore d'une génération plus jeune des efforts de synthèse plus mesurés.
par ailleurs, derrière l'abondance des textes se précise aujourd'hui une nouvelle quête archéologique sous-tendue par l'exploration toute récente de l'archéologie maritime et par l'exploitation systématique de la céramique :
le Cambodge se trouve ainsi impliqué dans le réseau d'une archéologie nouvelle, celle des échanges commerciaux qui réunissent à la péninsule indochinoise les îles indonésiennes dans un parfum d'hindouisation que conteste aujourd'hui la « régionalisation » des cultures d'Asie du Sud-Est. Là encore, l'EFEO s'est placée au premier rang, depuis les travaux de Malleret sur Oc-èo, aux origines de l'art du Fou-nan, jusqu'à l'intervention récente de P.- Y. Manguin autour des sites Srivijayens de Sumatra. C'est précisément la force institutionnelle de ce réseau scientifique qui maintient ainsi le Cambodge dans le flux des recherches actuelles, alors même qu'il est difficile d 'y oeuvrer sur le terrain. C'est aussi la tâche à laquelle se livrent ceux qui travaillent en France autour de l'EFEO sur les versions khmères du Râmâyana ou les inscriptions récentes, comme S. Pou, sur les Chroniques royales, comme Mak Phreun et Khin Sok, ou sur la littérature folklorique comme Solange Thierry.
Mais les monuments, direz-vous ? Ils ont reçu la meilleure place dès le départ et, en termes de budget, la plus importante. Aux origines, ce sont les inventaires, repris des missions pionnières et complétés systématiquement par Lunet de Lajonquière et Henri Parmentier. Si les premières listes et cartes sont établies très tôt, elles seront souvent complétées et révisées. Vers 1950, Henri MarchaI se targuait à propos du groupe d'Angkor de plus d'un millier de temples inventoriés et plus de 700 classés, mais à partir de 1960 un nouvel Atlas du pays d'Angkor est dressé et les plans détaillés de chaque grand site préludent à la publication d'une série d'Atlas monumentaux doublés d'une couverture photographique à laquelle sont attachés les noms de B.-Ph. Groslier et Luc Ionesco. C'est cet ensemble documentaire unique, soigneusement répertorié, et les « Journaux de fouilles », qui constituent aujourd'hui la base de toute étude sérieuse.
Mais les monuments, c'est aussi pour l'École, depuis 1907 et jusqu'en 1972, la lourde tâche de les préserver, tout comme elle assumait sa mission muséographique au Musée Albert Sarraut (devenu National en 1950 et passé en 1966 sous direction khmère) à Phnom Penh, comme à Battambang ou à la Conservation d'Angkor (près de 6.000 pièces de statuaire en 1960). Après plus de quinze ans d'un long geste de dégagements et de travaux de consolidation qui portèrent surtout sur le grand ensemble angkorien, Henri MarchaI en 1931 inaugure sur le joli temple de Banteay Srei la méthode de reconstruction à partir des matériaux anciens qui a reçu le nom d'anastylose. Perfectionnée par George Trouvé et Maurice Glaize, la méthode, affinée, s'est imposée et élargie du groupe d'Angkor à quelques autres monuments, notamment sous l'action d'Henri MarchaI, infatigable et omniprésent.
Anastylose
: Selon Balanos,
conservateur des Monuments de l'Acropole d'Athènes {cité par
Maurice Glaize,
dans son Guide aux Monuments du groupe d'Angkor), l'anastylose « consiste dans
le rétablissement ou relèvement d'un monument avec ses propres matériaux et
selon les méthodes de construction propres à chacun. L'anastylose s'autorise
de l'emploi discret et justifié de matériaux neufs en remplacement de pierres
manquantes sans lesquelles on ne pourrait replacer les éléments antiques ».
Cette méthode est particulièrement indiquée dès lors qu'il s'agit, comme
ici, de monuments faits de pierres simplement posées les unes sur les autres.
En pratique, après le débroussaillement et la recherche de tous les blocs qui
se sont effondrés, les pans de murs sont déposés, assise par assise, puis les
blocs numérotés sont reposés sur une base affermie, en tentant de remettre à
leur place tous les blocs qui ont été retrouvés dans les déblais. Le
remontage effectif du monument est donc précédé d'une série de remontages
partiels au sol, en étant guidé par la connaissance que l'on peut avoir des
formes architecturales et des décors sculptés: le travail matériel et les études
d 'histoire de l'art vont donc de pair. Toute interprétation, comme tout
remplacement d'un bloc manquant par une pierre trop travaillée qui pourrait
tromper sur l'authenticité, sont bannis. Cette technique fut utilisée au
Cambodge pour la première fois en 1931, par Henri
MarchaI, qui l'avait apprise à Java auprès des architectes néerlandais
travaillant alors sur les monuments indonésiens; il utilisa pour la
reconstruction du célèbre temple de Banteay Srei.
L'inventaire des multiples richesses
Dans les années 1960, la volonté de réorganiser l'action de l'École se résume sans doute par l'objectif de mieux connaître pour mieux protéger. Les inventaires monumentaux sont élargis aux abords pour restituer l'espace vital des monuments, les fouilles systématiques s'efforcent de dégager une stratigraphie générale et de guider la restauration des ensembles. Angkor n'est pas privilégié et d'autres grandes cités khmères sont systématiquement dégagées. Parmi les résultats de ces fouilles, on insistera sur le nombre accru- doublé en fait - des bronzes et surtout sur l'apport essentiel de la céramique, une révélation dont l'exploitation (séquence continue du VIle au XIVe siècle, interférences entre la céramique khmère et la céramique chinoise) ne fait que commencer, mettant en cause toute l'Asie du Sud, des Philippines à Madagascar. . .
La mutation de la Conservation après 1960 ne se mesure pas seulement par l'ampleur d'un effort financier considérable et bilatéral. Celui-ci est certes spectaculaire: 150 ouvriers en 1959, plus de 1000 en 1970, et un équipement qui multiplie par 500 le potentiel de travail. Mais c'est la qualité scientifique de l'entreprise qui est frappante: effort pour élucider les processus d'altération des structures et des matériaux, étude des altérations des grès, laboratoire de restauration des céramiques, appel aux techniciens de Nancy pour soigner les bronzes et les fers, formation de restaurateurs par J. M. André, et de tailleur de pierre par un maître des compagnons de France. Cet effort méthodologique n’aura pas servi que le Cambodge ; la Thaïlande, le Laos, l’Indonésie ont bénéficié de l’expérience acquise et des techniciens les mieux entraînés. Mais la guerre devait interrompre cet effort et les mesures conservatoires prises à la hâte dans des conditions difficiles entre 1970 et 1972 n'ont pas empêché que certains travaux essentiels ne soient pas achevés. On se retourne alors vers ceux dont l'enseignement et les ouvrages assurent encore la mémoire vivante et la continuité de cet effort. Enseignant l'archéologie de l'Asie du Sud-est, Jean Boisselier, Madeleine Giteau, Bruno Dagens transmettent le flambeau reçu de l'École, tout comme nos architectes, Guy Nafilyan, Jacques Dumarçay, Pierre Pichard, etc. font revivre par leurs études et descriptions les monuments qu'ils ont étudiés, tandis que les bilans monumentaux, iconographiques, épigraphiques, etc. . . demeurent à la portée de tous pour nous aider à connaître, comprendre et aimer le Cambodge.
Une institution toujours présente
Au terme d'un bilan quasi séculaire et face à ce prodigieux héritage, on mesure, devant la tragédie de l'histoire, quelle dimension la présence d'une institution stable a pu ajouter à l'effort individuel de chercheurs passionnés. Ceux-ci ont eu bien souvent le tempérament et parfois l'humeur des véritables aventuriers, mais ce fut le mérite de l'École que d'assurer à leur action le privilège de la continuité et le sens d'une mission. Confronté à Ramèges, directeur d'un « Institut français » qui n'est autre que l'EFEO, le héros de la Voie royale, Claude Vannec, s'interrogeait: « Il agit comme un administrateur qui constitue des réserves : dans trente ans peut-être, etc. . . Dans trente ans, son Institut sera-t-il encore là, et les Français en Indochine ? » Dressant devant l'Institut Charles de Gaulle (Colloque André Malraux, novembre 1986) le tableau de l'engagement politique d'André Malraux en Indochine, Paul Isoart, professeur à la Faculté de Droit de Nice écrivait au terme du procès :« Alors, qui, en 1924, était dans le sens de l'histoire ? Ceux qui estimaient avoir le droit de remettre en circulation des oeuvres que la brousse menaçait et qui risquaient de rester à l'abandon de longues années encore » (Clara Malraux, Nos vingt ans, p.137). Ou ceux qui, comme Louis Finot, affirmaient « qu'une nation européenne qui prend possession d'un vieux sol historique est en quelque sorte comptable des souvenirs dont elle a la garde: elle a le devoir de les conserver et de les faire connaître. C'est une dette d'honneur qu'elle ne saurait répudier sans déchoir dans l'opinion de l'étranger et dans sa propre estime » (Rapport à l'Institut, dans Situation de l'Indochine (1897-1901), Hanoï, 1902, p. 105) - Répondant à sa propre question et à celle de Vannec, Isoart concluait: « Les Français ne sont plus en Indochine, mais l'École est toujours là. Son statut actuel lui a été donné par un décret du 14 décembre 1963, André Malraux était Ministre de la Culture ».
Aujourd'hui : Angkor, De l'espace du temple à
l'aménagement du territoire
Responsable :
Bruno Bruguier
L'équipe se compose de :
Bruno Bruguier,
Jacques Gaucher,
Christophe Pottier,
Pascal Royère.
Ces différents chercheurs, associés aux travaux de l'EFEO au Cambodge,
constituent une équipe de recherche archéologique autour d'un projet centré sur
l'histoire d'Angkor et autour d'une interrogation sur la place qu'occupe le
temple dans le développement de la civilisation khmère et plus particulièrement
de sa capitale entre le VIIIe et le XIIIe siècle. L'histoire d'Angkor est
développée à partir des travaux entrepris sur le temple en tant qu'œuvre
architecturale, zone d'urbanisation, espace de développement économique ou
avant-poste d'une politique d'expansion territoriale.
Le projet repose sur des travaux à différentes échelles : radioscopie du temple
et de son environnement immédiat, étude de sa place dans un contexte urbain, ses
logiques d'implantation dans la région et en tant qu'élément constitutif de
l'empire khmer.
Cette décomposition du projet en un emboîtement de différentes logiques
spatiales correspond aussi à des approches thématiques complémentaires. La
radioscopie du temple apporte principalement les données historiques sur
l'évolution de l'architecture. L'étude de la ville et de la région sert de
support à une analyse démographique et économique. Quant à la cartographie
archéologique elle est un élément essentiel pour l'étude de la politique de
contrôle des territoires limitrophes.
les programmes :
1. Le temple et son histoire. L'exemple du Baphuon
Pascal Royère
Le premier volet du projet
repose sur l'étude architecturale de l'un des principaux monuments du parc
archéologique d'Angkor : le Baphuon, édifice élevé dans le courant du XIe siècle
au sud du Palais royal et en bordure de la grande place d'Angkor Thom.
Les constats propres à l'édifice conduisent à la formulation de deux
orientations de travail complémentaires :
- l'histoire architecturale du monument : dont la construction semble avoir fait
l'objet d'une série d'entreprises réparties dans le temps ;
- les rapports du monument avec son environnement immédiat et plus éloigné :
avec l'étude des implications du programme de construction du monument sur le
site environnant et, en retour, les impacts de ces modifications sur la forme
même de l'édifice.
A cette fin sont analysées les sources écrites : les inscriptions lapidaires
laissées sur les montants des portes d'accès aux sanctuaires et les relations de
voyageurs qui séjournèrent dans l'ancien Cambodge (relations des ambassades
chinoises et récits des voyageurs européens). Il s'agit également de cerner les
contingences topographiques et urbaines qui ont conduit au tracé et à
l'élévation des premiers soubassements de la pyramide (rapports entre le Baphuon,
le Palais royal et la Place royale). L'étude des formes architecturales doit
permettre de déceler non seulement la permanence de certains artifices
architecturaux et constructifs, mais également les innovations qu'apporte le
sujet.
L'analyse comparative de l'ensemble de ces particularités et détails
architecturaux devrait permettre l'étude détaillée des origines de la
construction et des diverses modifications qui lui ont été apportées au cours de
son histoire.
B a p h u o n
Le Bapùon, temple sivaïte, est l'un des plus vastes monuments du parc d'Angkor. Son édification, d'après l'inscription de Lôvek, est attribuée à Udayadityavarman II dont le règne assez court s'acheva en 1066. Le monument s'élève au Sud de l'enceinte du palais royal, aligné sur un axe de direction Nord-Sud passant par le centre du Phiméanakas. Le Bapùon résulte, avec Angkor Vat, d'une des plus grandes audaces constructives angkoriennes. Cette distinction fut malheureusement lourde de conséquences pour la stabilité du monument, en raison plus précisément du manque d'adaptation des structures construites pour placer le sanctuaire central sur un point aussi élevé : les soubassements sont insuffisamment dimensionnés, le troisième gradin est particulièrement haut et exerce un forte pression, et il n'a plus de dispositif d'évacuation des eaux.
Objectif :
Le programme vise à restituer les volumes architecturaux de ce temple angkorien du XIè siècle à partir de ses maçonneries originales de grès.
Equipe de restauration :
Le programme de restauration du Bapùon est dirigé par l'Ecole Française d'Extrême-Orient avec le support des financements du Ministère des Affaires Etrangères du Gouvernement Français.
Dates :
Les travaux engagés dans un premier temps en 1960 ont été interrompus en raison de la guerre civile en 1970. Ce n'est qu'en 1995 qu'ils ont pu être repris avec pour objectif d'être achevés à la fin de l'année 2003.
Personnel :
L'équipe comprend un architecte chef de projet (expatrié), 1 Architecte assistant, 1 Archéologue, 2 Conducteurs de travaux (expatrié), 1 Chef de chantier, 2 Archéologues (détachés du Ministère de la Culture Cambodgien), 2 Chefs d'équipes, 15 Ouvriers spécialisés, 83 Manoeuvres, 68 Gardiens de chantier, 6 Secrétariat et personnel administratif, 4 dessinateurs. Le Programme accueille en outre deux archéologues et un architecte récemment diplômés de l'Université Royale des Beaux-Arts de Phnom Penh. Cette démarche de formation postérieure au diplôme se poursuit par la proposition de stages pratiques en France auprès de Services Régionaux de l'Archéologie.
Méthodologie :
Stabilisation des remblais :
la technique de restauration par anastylose, consistant à relever une ruine à l'aide de ses propres éléments, est à la base des options retenues. Cependant, les particularités propres aux techniques constructives employées sur le Bapùon ont imposé quelques aménagements. Les risques qui entourent une remise en place des structures architecturales anciennes sans amélioration de leur stabilité par rapport aux contraintes propres à l'édifice conduisent à compléter ce dispositif constructif par l'insertion d'une structure interne moderne destinée à pallier les défaillances structurelles constatées. C'est ainsi que l'on anticipe la ruine des parties du monument encore in situ pour en déposer les structures à titre préventif.
Sculpture du Bouddha Couché :
La sculpture monumentale représentant le Bouddha entré au Nirvana sur les soubassements du deuxième gradin du temple est l'une des plus grandes réalisations de ce type au Cambodge ancien. Il est généralement admis que ce Bouddha a pris forme au milieu du XVIè siècle.
La construction de cette sculpture est sans doute la plus importante entreprise de réemploi qui n'ait jamais été organisée sur un monument angkorien. La sculpture est posée sur les deux gradins du second étage, à l'aplomb du mur de soubassement inférieur. D'une hauteur moyenne égale à 8,00 m, elle masque, sans pour autant qu'ils aient été détruits, les édifices jalonnant la terrasse du second étage (pavillon axial, galerie et tour d'angle).
L'intervention sur cette partie du monument est définie en fonction des priorités suivantes :
Options de restitution : Deux états du monument sont clairement identifiables : le temple-montagne du XIè siècle d'une part, et la statue monumentale du Bouddha d'autre part. Or le projet de conservation du monument doit tenir compte des problèmes de stabilité propres aux trois étagements du temple, tout en conservant les particularités du document historique qui nous est légué au travers de la transformation tardive de la face ouest en une gigantesque image bouddhique.
Impératifs liés à la stabilité du massif d'assise : Les structures architecturales du premier état historique du monument ont montré leurs faiblesses constructives face aux désordres résultant des contraintes imposées par le remblai constituant l'ossature du monument.
Options techniques retenues :
La stabilisation des soubassements du XIè siècle impose le démontage (total ou partiel en fonction des états de conservation qui seront constatés) de leurs maçonneries. Ce démontage permettra également l'installation de drains dans le remblai, à la base et au sommet de ces murs, afin d'assainir cette importante masse de sable et de prévenir les désordres liés à la présence d'eau à la base des structures construites.
Afin d'alléger la charge transmise par la sculpture à ces soubassements, mais également rendre accessibles les structures élevées sur la plate-forme du second étage (pavillon, galeries et tour d'angle) tout en préservant l'image du Bouddha, des aménagements doivent être réalisés sur la partie arrière de la sculpture :
Seul le parement de la sculpture sera restauré et remis en place, correspondant à l'épiderme du Bouddha.
Le blocage original en grès du corps de statue sera remplacé par un appareillage de latérite qui comblera le volume entre la façade de la sculpture et le gradin du XIè siècle actuellement masqué.
Sur la partie supérieure de la sculpture (notamment sur la moitié nord de la façade) on veillera à dégager les galeries de l'état original, et les rendre à la circulation pour les futurs visiteurs du monument.
Sur la partie arrière de la sculpture, le blocage ainsi réalisé sera recouvert par un parement de grès qui donnera au corps du Bouddha un aspect très proche de son état actuel.
Le résultat final permettra d'offrir le Bouddha restauré aux visiteurs circulant sur la terrasse du premier étage, renouant avec le projet de façade souhaité par les commanditaires de cette sculpture sans doute à la fin du XVè siècle. Par ailleurs le maintien de cette réalisation tardive permettra également d'offrir un accès aux galeries antérieures du second étage, actuellement ensevelies sous l'énorme masse de pierres supposée former le dos du Bouddha.
2. Le temple dans la ville. Le Palais royal et Angkor Thom
Jacques Gaucher
La deuxième partie porte
précisément sur le Palais royal et la "ville" d'Angkor Thom qui lui est
associée. Il s'agit d'une approche urbaine qui permet de mieux définir la place
du temple dans la ville.
Ce programme vise à explorer : la forme et la formation de la ville d'Angkor
Thom, cité-capitale de l'empire khmer ; la chronologie et les formes du site du
Palais royal d'Angkor Thom ; les céramiques locales et importées. Ces trois
thèmes d'études permettent d'appréhender les faits urbains à la fois sur le plan
de l'espace et du temps.
D'une part, l'histoire urbaine de la ville ne peut se comprendre sans celle de
l'implantation et de la formation du Palais royal. D'autre part, seule
l'accumulation archéologique du Palais royal (sur plus de cinq mètres en ses
points maximums) est susceptible de fournir une séquence chronologique de ses
modalités d'occupation et de permettre de recueillir un matériel céramique
diversifié et associé à un contexte stratigraphique. Enfin, c'est la mise en
place d'une typo-chronologie de la céramique khmère, croisée avec l'étude de la
céramique importée issue des fouilles du Palais royal, qui fournira l'outil
essentiel de datation des éléments de construction et de comblement en terre
constitutifs de la forme de la cité.
L'étude archéologique de la ville implique alors une approche nécessairement
conduite à différentes échelles, celle de l'édifice singulier, celle du
quartier, celle de la structure et de la forme urbaine ainsi que celle de son
rapport au territoire.
Mené en collaboration avec l'Ecole française d'Extrême-Orient, pour la
logistique et l'école d'architecture de Nantes, ce programme archéologique a
permis de regrouper des spécialistes de diverses disciplines, archéologie,
pédologie, architecture, topographie, céramologie (Eric Bourdonneau,
Marie-France Dupoisat, Marc Franiatte). Les prospections archéologiques ont été
réalisées en collaboration avec l'Institut de recherche hollandais Stichting
RAAP de l'université d'Amsterdam.
3. Du temple au territoire angkorien
Christophe Pottier
Le troisième volet
s'inscrit dans le prolongement des recherches menées dans la zone Sud d'Angkor
qui seront désormais étendues à l'ensemble de la périphérie d'Angkor pour
inscrire la capitale et ses temples royaux dans leur environnement immédiat,
tant d'un point de vue humain qu'économique.
Ce programme vise à compléter la connaissance de la civilisation angkorienne par
le biais de l'étude morphologique et historique de l'occupation de son
territoire. Il relève de deux échelles d'analyse distinctes mais étroitement
liées, du temple à son insertion dans la cité et de celle-ci dans son territoire
environnant :
- le temple et ses abords : les recherches concernent trois zones et trois
périodes différentes représentatives de modalités d'installations significatives
(les temples de Roluos au IXe siècle - Bakong, Prah Ko, etc. ; les fondations
principales du règne de Rajendravarman durant la seconde moitié du Xe siècle -
Mebon oriental, Pre Rup et Bat Chum ;
les terrasses royales
d'Angkor Thom, XIIe-XIIIe siècles).
- des temples au
marquage du territoire angkorien : cette étude consiste, grâce à une
méthodologie associant télédétection et prospection et à travers la réalisation
d'une nouvelle cartographie archéologique, à développer les connaissances dans
les domaines relatifs à la densité de l'occupation du sol, aux schémas
d'aménagements hydrauliques et à leur évolution et enfin à l'environnement
agraire et non religieux des grands ensembles monumentaux qui jalonnent le site
d'Angkor.
L'étude de la zone Sud a déjà permis de proposer des hypothèses d'organisation
agricole en aval des baray. Cette recherche touche désormais la zone au nord
d'Angkor, l'aire qui s'étend à l'est de Roluos, et la région à l'ouest de Puok.
Il ne s'agit pas ici d'étendre cette méthodologie à l'ensemble du Cambodge mais,
à travers quelques cas particuliers, de dégager les permanences des principes
d'aménagement du territoire et les variations propres à des contextes distincts.
4. Le temple dans l'empire. Les marches du royaume
Bruno Bruguier
La dernière proposition
conduit à une interrogation plus large sur les implantations religieuses dans
l'empire khmer. Ce travail est consécutif aux travaux de cartographie
archéologique qui ont été entrepris depuis deux ans pour aboutir à un inventaire
et à des cartes de l'empire khmer à différentes périodes de son développement.
L'étude de la répartition spatiale des temples dans l'empire khmer a consisté à
répertorier tous les sites khmers du Cambodge, avec leur localisation
géographique et leurs caractéristiques principales. A chaque site est associé un
ensemble d'informations (bibliographie, base de données photographiques,
répertoires épigraphiques, etc.) qui sont placées en réseau pour être traitées
selon des critères variables : chronologiques, religieux ou thématiques.
La répartition des sites dans le royaume peut alors être visualisée, sur des
fonds de cartes informatisés grâce à l'utilisation d'un logiciel de cartographie
qui traite également les données selon des critères topographiques,
géographiques ou administratifs.
A terme, le programme présente un double objectif. Il participe tout d'abord à
la protection des sites archéologiques, par la mise en place d'un inventaire. Il
permet aussi une analyse spatiale de la civilisation cambodgienne aux
différentes périodes de son évolution et en particulier entre le VIIe et le XIVe
siècle.
La constitution des différentes bases de données archéologiques s'est appuyée
sur le dépouillement des inventaires et des publications scientifiques sur le
Cambodge. Elle a abouti à l'établissement d'une Bibliographie du Cambodge
ancien publiée aux presses de l'EFEO (1999).
Il s'agit désormais de poursuivre l'analyse des phases de développement de la
civilisation khmère dans les pays limitrophes du Cambodge actuel sur lesquels
s'est autrefois étendu l'empire angkorien. C'est dans cette optique que la
saisie des données concernant la Thaïlande a été entreprise, que des contacts
avec des collègues thaïlandais ont été noués et qu'un stagiaire pourrait être
hébergé à l'université de Silpakorn.