" Il naquit à Dinan le 31
mai 1847. On ne connaît encore que bien peu de choses de son enfance et de ses
études. Il entre dans la vie à dix-sept ans comme engagé volontaire au 62° de
ligne. Sergent, trois ans plus tard il passe dans l'Infanterie de Marine et
embarque à Toulon pour la Cochinchine où mis en congé quelques mois plus tard,
il entre comme agent stagiaire dans le cadre auxiliaire des Télégraphes.
Rentré volontairement à son corps de l'Infanterie de Marine, à la nouvelle de
la guerre de 1870, il regagnait aussitôt la France et ne fut rendu à la vie
civile qu'en juin 1871.
De retour en Cochinchine il fut affecté à Long-xuyên, puis à Kampot où il se
trouva investi des fonctions de représentant local du Protectorat.
Pavie accomplit plusieurs voyages dans cet immense territoire que forment les
régions méridionales du Cambodge et publia sa relation dans les Excursions et
Reconnaissances, série fondée par le gouverneur Le Myre de Vilers, et qui
demeure l'une des sources les plus précieuses d'information sur le pays.
Rentré dans la métropole après dix-sept ans d'Indochine, dont un séjour
ininterrompu de onze années au Cambodge, Pavie emmène avec lui un groupe de
jeunes gens qui formèrent à Paris une Ecole cambodgienne, devenue ensuite
l'Ecole Coloniale. A peine était-il arrivé qu'il était pressenti par les
Ministres de la Marine et des Postes pour une mission d'exploration au Laos
avec le titre de vice-consul. "A ce moment de nos difficultés avec la Chine et
le Tonkin, il était nécessaire, écrit-il dans un de ses ouvrages, d'être
renseigné sur les régions voisines de nos premiers postes où les Pavillons
Noirs étaient établis, où le Siam envoyait des soldats, installait des agents.
Il était indispensable également de rechercher les voies de communications
unissant à l'Annam et au Tonkin, les pays dont nous revendiquions la
possession. "
Il fut nommé le 11 novembre 1885, vice-consul de 2° classe avec poste
d'attache à Luang Prabang.
Pour comprendre l'importance du rôle qu'allait tenir Pavie dans ces régions il
convient de se représenter ce qu'étaient alors les compétitions qui opposaient
les puissances, aux confins de la Chine et de la Haute-Birmanie. La position
du Siam était devenue difficile, entre l'expansion anglaise et celle de la
France. Borné dans ses ambitions du côté birman, il s'était heurté sur le
Mékong et le Bassac à l'expansion annamite qui s'exerçait comme la sienne aux
dépens du Cambodge et du Laos. Le Siam ne pouvait entrer en conflit avec la
France qui venait de se substituer à la Cour de Hué, dans l'exercice de droits
de souveraineté. Il reporta donc ses ambitions vers le Nord avec l'espoir de
devancer la France, vivement encouragé du reste, par l'Angleterre attentive à
le détourner de la Haute-Birmanie... Le roi de Siam prononça un discours où il
revendiquait le Trân-Ninh, les cantons méo de la Rivière Noire y compris des
centres comme Son-la et Lai-châu. L'alarme s'empara de nos représentants et
Pavie qui se trouvait à Bangkok où il attendait depuis six mois ses passeports
précipita son départ vers la principauté de Luang Prabang...
Dès son arrivée il est pris en tutelle par le commissaire siamois qui
multiplie les précautions pour l'éloigner du roi, des bonzes, des
fonctionnaires et l'isoler des populations. Mais sa courtoisie et la
simplicité de ses manières ne tardent pas à lui gagner la sympathie des
habitants de ce pays... Il part vers le Haut-Tonkin.
Mais à peine a-t-il parcouru une partie de la route qu'il assiste à l'exode
des populations du haut-pays, alarmées par l'annonce du retour offensif des
pirates chinois. Menacé d'être abandonné par ses bateliers il est contraint de
regagner Luang Prabang où il apprend à sa profonde surprise que les troupes
siamoises ont abandonné la ville, emmenant tous les otages à Bangkok. Il
demeure seul, en tête à tête avec un officier siamois, qui le presse de fuir à
son retour. La ville n'a ni remparts, ni troupes aguerries et Pavie s'obstine
à rester, offrant d'organiser la résistance pour le compte du vieux roi.
Cependant l'inévitable s'accomplit. La capitale est envahie par les bandes de
Deovan-Tri, chef des Pavillons Noirs.
Luang Prabang est mise à sac et incendiée. Kéo, l'un des Cambodgiens du Consul
français, arrache le vieux roi à une mort certaine et au milieu d'une panique
indescriptible, Pavie rassemble les membres de la famille royale, recueille
les blessés, emmène le vieux prince sur le Mékong dans une course vertigineuse
vers Paklai où tous retrouvent la sécurité.
Cette attitude de ferme et courageuse décision conquiert à Pavie tous les
coeurs. Les derniers fuyards apportent la nouvelle que les pagodes de Luang
Prabang sont indemnes. Or, parmi les blessés se trouve le supérieur du
monastère de Vat Mai que Pavie, improvisé chirurgien, soigne quotidiennement.
Le moine envoie son frère à la capitale pour ramener les chroniques du
royaume. Elles sont mises à la disposition de l'explorateur et Pavie acquiert
la certitude que les prétentions siamoises sur les cantons de la Rivière Noire
ne s'appuient sur aucun fondement historique.
Le vieux roi pénétré de gratitude explique à Pavie que son royaume n'est pas
une conquête du Siam, mais que volontairement il s'est placé sous la
protection étrangère pour assurer sa défense. " Maintenant, ajoute-t-il, par
son ingérence notre ruine est complète. Si mon fils consent nous nous
offrirons en don à la France, sûrs qu'elle nous gardera des malheurs futurs. "
...
De retour en France Pavie put exposer au Quai d'Orsay, sous tous ses aspects
le problème des frontières occidentales de l'Indochine. Par l'exploration
directe, comme par l'étude des chroniques, il était parvenu à la conviction
que les prétentions siamoises ne trouvaient de motif valable que dans un
opiniâtre dessein d'expansion. Ni les considérations géographiques ou
économiques, ni l'ethnographie n'y étaient alors pour rien. Pas davantage
n'étaient à retenir les questions de race, et Pavie rappelait opportunément
tout ce que le Siam englobait de populations authentiquement cambodgiennes,
tout ce que la Chine et la Birmanie enfermaient de Thai que le Siam ne
songeait pas à revendiquer. L'explorateur apportait à la discussion, outre sa
profonde expérience du pays, une conviction formée au contact des manuscrits
des pagodes, dans les méditations de l'homme d'études.
L'opinion du savant comptait alors de quelque poids dans la pensée des
diplomates. Sans vouloir contrister personne, il est permis de regretter que
cette méthode n'ait pas été depuis invariablement suivie...
Le traité du 3 octobre 1893 stipulait que le cours du Mékong constituerait la
frontière entre le Siam et les territoires de l'Indochine, Cet acte nous
donnait satisfaction dans le principe, mais du fait de sa rédaction hâtive,
comportait de nombreuses difficultés d'interprétation. Malgré les
avertissements de Pavie, il méconnaissait les droits du Laos sur la rive
droite du fleuve et coupait en deux de la manière la plus arbitraire le
royaume de Luang Prabang et sa capitale.
Du côté anglais une commission de délimitation apparut nécessaire. Pavie fut
appelé à présider la délégation française et nommé Commissaire général au Laos
pour organiser les nouveaux territoires et veillerà l'exécution du traité. Il
repartit encore pour Luang Prabang où il s'attacha à maintenir tout ce qui
répondait aux habitudes et aux moeurs des populations en restituant aux
princes et aux fonctionnaires laotiens toutes leurs prérogatives
traditionnelles.
Rappelé à Paris, pour éclairer le Département sur les difficultés
d'application du traité, dont le règlement ne devait aboutir qu'en 1907, il ne
revint à Bangkok en 1896 que pour un bref séjour. Ayant pris sa retraite en
1905, il consacra le reste de son existence à rédiger ses souvenirs et à
publier les dix volumes et l'atlas de ses missions en Indochine avant de
s'éteindre en Bretagne le 7 mai 1925. "