Henri PARMENTIER

Archéologue français, né à Paris le 3 janvier 1871, mort à Phnom Penh le 22 février 1949.

Bulletin de l'Ecole Française d'Extrême-Orient

La mort d'Henri Parmentier, ancien chef du Service archéologique de l'École Française d'Extrême-Orient, survenue à Phnom Penh le 22 février 1949, est passée presque inaperçue comme celle de Victor Goloubew, le 18 avril 1945. Deux articles ont été, il est vrai, consacrés à sa mémoire par son ami et compagnon Henri Marchal, Conservateur des monuments du groupe d'Angkor (l).

Mais le Bulletin de l'École Française d'Extrême-Orient se devait d'évoquer l'extraordinaire activité d'un des pionniers de l'archéologie indochinoise qui, l'âge de la retraite étant venu, ne considéra point sa mission comme terminée, persista jusqu'à son dernier jour à rédiger des travaux et donna un témoignage définitif de fidélité à l'Indochine en achevant sa vie au coeur du pays khmer.

Henri-Ernest Jean Parmentier est né à Paris, le 3 janvier 1871, d'une famille d'artistes. Bachelier ès lettres et ès sciences (1888-1890), il entra à l'École des Beaux-Arts en 1891, dans la section d'architecture, et eut pour maître Girodet, dont l'atelier devint par la suite celui de Paulin.

En 1896, on le trouve pendant cinq mois attaché aux Travaux Publics de Tunis. Près de l'ancienne Carthage, il s'initia à l'archéologie et publia une importante étude accompagnée d'un relevé et d'une restitution du temple de Saturne-Baal à Dougga, ensemble pour lequel il obtint, l'année suivante, une mention honorable au Salon des Artistes Français.

La Mission archéologique de l'Indochine d'où allait sortir l'École Française d'Extrême-Orient venait d'être fondée en 1898. L'organisation naissante s'assura le concours d'Henri Parmentier comme architecte.

Le groupe d'Angkor était encore en territoire siamois. C'est cependant par cette ville ancienne que le jeune architecte commença ses premières reconnaissances, poursuivant par la suite son enquête méthodiquement, sur tout le territoire de l'ancien Campa, visitant, décrivant, dessinant un à un les monuments avec une rigoureuse conscience qui sera le trait distinctif de son caractère.

Après trois prorogations d'un an de son séjour comme membre pensionnaire, Henri Parmentier fut nommé, par arrêté du 5 octobre 1904, chef du Service archéologique de l'École Française d'Extrême-Orient. A ce titre, il organisa la première mission de l'institution à Angkor composée d'Henri Dufour, architecte diplômé par le Gouvernement, Inspecteur des Travaux Publics, et de Charles Carpeaux, fils du grand sculpteur, tous deux attachés à l'École. On sait comment cette mission établit un relevé des bas-reliefs du Bàyon, documentation capitale publiée en un énorme ouvrage en 1913.

La santé de Carpeaux ne résista pas à l'épreuve de la brousse et il devait mourir en 1904 à Saigon. Dès 1902, Henri Parmentier l'avait associé à une épuisante expédition pour l'exploration de l'ancien Campa. Les deux hommes entreprirent une série de fouilles importantes à Dong-du'ong et à Mi-so'n que Parmentier poursuivit seul à Chanh-lo.

Les fouilles de Chanh-lo permirent de reconnaître les restes d'un des temples les plus importants pour ses proportions, rapporté aux derniers temps de la domination came. Cette belle campagne valut à Henri Parmentier, en 1904, la médaille de la Société centrale des Architectes français.

En un premier séjour de près de quatre ans, Parmentier avait accompli une oeuvre considérable et sa dernière campagne avait été particulièrement pénible. Un arrêté du 14 juin 1904 lui accorda un congé qui comportait une mission préliminaire à Java, afin d'étudier les rapports de l'architecture de cette île avec celle des Cam. Il en tira un article publié dans le Bulletin de l'École, en 1907, sur l'architecture interprétée dans les bas-reliefs anciens de Java. Rentré en France, il occupe son congé à obtenir le diplôme d'architecte du Gouvernement, et présente à cet effet, une étude sur un type d'habitation réellement adapté aux conditions climatiques du Tonkin.

Après un congé d'un an, il s'embarque à Marseille le 1er octobre 1905 et le 4 novembre est de retour à Hanoi. Au début de 1906, il entreprend les travaux de restauration du temple de Pô Nagar préparés par ses études précédentes, mais son état de santé l'oblige à rentrer en France, après n'avoir accompli qu'une partie de cette tâche. Il s'embarque à Saigon le 1er juin 1907. Pendant son nouveau séjour à Paris qui durera jusqu'au 5 janvier 1908, les provinces de Sisophon, Bâttam-ban et Siemrâp ont été restituées au Gouvernement français qui les a rétrocédées au Cambodge. Dès son retour en Indochine, Henri Parmentier est chargé de la direction générale des travaux archéologiques, ainsi que de l'établissement d'un programme d'ensemble qui demandera un nombre considérable d'années et dont l'exécution déjà commencée a été confiée à Jean Commaille, nommé Conservateur des ruines d'Angkor.

Il revient ensuite à Hanoi, pour organiser et installer la Musée de l'École dans les bâtiments de l'ancien Gouvernement général.

Rendu à ses fonctions de chef du Service archéologique, Henri Parmentier entreprend d'importantes reconnaissances au Cambodge, après son inspection annuelle des travaux d'Angkor. Cette enquête va lui permettre d'établir le dénombrement des témoins d'un art qui correspond aux premières époques de la floraison artistique du Cambodge, qu'il qualifiera d'art khmèr primitif, que l'on a dénommé aussi pré angkorien et qui n'est en fait qu'une première manifestation créatrice, dans une filiation de l'architecture et de la statuaire réparties sur le vaste territoire de l'ancien empire khmer.

L'état inquiétant des monuments du Laos l'amène à entreprendre une longue mission d'exploration qui le conduit jusqu'au plateau du Tràn Ninh. Il revient en Annam pour exécuter une série de moulages destinés à représenter l'art cam au Musée indochinois du Trocadéro et qui seront mis en place par ses soins en 1913. Après une campagne d'études archéologiques qui a duré près de cinq ans, il rentre en France, le 4 novembre 1912, pour achever la publication de l'Inventaire descriptif des Monuments cams dont le premier volume avait paru en 1909.

Le 18 avril 1914, il est de retour en Indochine où il reprend ses fonctions de chef du service archéologique de l'École Française d'Extrême-Orient.

Mais son activité principale demeure orientée désormais vers le domaine de l'ancien Cambodge. Son relevé archéologique de la province de Tây-ninh, en 1909, avait été suivi, en 1912, par le Catalogue du musée khmer de Phnom Penh, puis, l'année suivante, par un important complément à l'Inventaire des Monuments du Cambodge qu'avait publié Lunet de Lajonquière.

Par un décret du 29 avril 1918, Henri Parmentier avait été nommé directeur par intérim de l'École Française d'Extrême-Orient, fonctions qu'il occupa du 7 mai 1918 au 8 décembre 1920. Il obtenait ensuite un congé consécutif à sept années de séjour ininterrompu en Indochine.

Titulaire d'un nouveau congé administratif, il repartait pour la France le 5 octobre 1925. De retour à Saigon le 18 septembre 1926, il ne quittera plus désormais l'Indochine. Il assume d'abord les fonctions de Conservateur des monuments d'Angkor, reprend en 1928 celles de Chef du service archéologique, est nommé en juillet 1930 Conservateur des monuments de la Cochinchine et du Cambodge, est admis enfin à la retraite le 4 juillet 1932.

En 1926, il a publié en collaboration avec Louis Finot et Victor Goloubew une importante monographie de Banteay Srei qui constitua le premier volume des Mémoires archéologiques de l'École Française d'Extrême-Orient, consacré au Temple d'lçvarapura. L'année suivante paraissait à Paris, dans les publications de l'École, son ouvrage sur l'Art khmer primitif, en deux volumes constitués l'un du texte, l'autre de relevés de monuments et qui était la synthèse de vingt années d'études consacrées aux premières époques de l'évolution artistique du Cambodge.

Retiré à Phnom Penh, Henri Parmentier ne crut pas qu'il pouvait s'abandonner à i'inactivité. Il avait conçu le vaste projet d'une revision de l'Inventaire archéologique de Lunet de Lajonquière, auquel il avait du reste apporté d'utiles compléments en 1913.

Cet ouvrage qui continue à rendre d'incontestables services est loin de contenir le dénombrement de tous les monuments connus et il appelle une mise à jour. Passée la soixantaine, Parmentier crut pouvoir mener à bien cette tâche gigantesque. A cette fin, il divisa le territoire du Cambodge en quadrants. Seuls ont paru en 1939 deux volumes consacrés au quadrant Nord-Est et cette oeuvre considérable, pour laquelle le savant avait accumulé une énorme documentation, en partie perdue en 1945, demeure inachevée.

Nommé chef honoraire du Service archéologique et Membre correspondant de l'École, Parmentier continua pendant plusieurs années à visiter des temples dans la forêt. Mais son extraordinaire résistance commençait à s'épuiser. Pour le vingt-cinquième anniversaire de l'École, en 1925, il avait donné au Recueil d'Études asiatiques un article consacré à l'origine commune des architectures hindoues dans l'Inde et en Extrême-Orient. C'est presque le même titre qu'il reprit dans un volume paru à Paris en 1948 et qui n'a été distribué que dans ces derniers mois.

Lorsqu'il s'éteignit, le 22 février 1949, Henri Parmentier emportait la satisfaction légitime d'un effort laborieux, soutenu par le sentiment du devoir et des responsabilités du savant.

Certes, sur bien des points les conclusions d'Henri Parmentier sont dépassées. Beaucoup de ses travaux anciens ne s'insèrent plus dans le réseau d'une chronologie désormais solidement établie. Mais l'on consultera toujours l'Inventaire des Monuments cams, l'Art khmer primitif, l'Art khmèr classique pour les monuments du quadrant Nord-est, et, bientôt sans doute, l'Art du Laos, pour puiser à l'incomparable documentation qu'ils enferment. Quoi qu'il en soit, la vie et l'œuvre d'Henri Parmentier demeurent un magnifique exemple de ténacité, de courage, de fidélité aux voies de la science, et son message d'observation exacte, de labeur scrupuleux, d'intrépidité dans l'exploration directe, a été recueilli par les disciples du vieux maître, comme un motif de persévérer dans son oeuvre de coureur de brousse et de découvreur de temples ignorés.

 


(1) La vie et l'oeuvre de Henri Parmentier, in Bull. Soc. Études Indochinoises, n. s., XXIV, n° 3 3e trim. 1949, p. 93-101 (voir ci-dessous l'extrait présenté); L'oeuvre de Henri Parmentier (1870-1949), in Sud-est, Saigon, n°7 déc. 1949, p. 38-45.


LA VIE ET L'OEUVRE DE HENRI PARMENTIER (1871 - 1949)

Par HENRI MARCHAL (Conservateur d'Angkor)

Ce n'est pas sans émotion que j'évoque ici la figure de Henri Parmentier, Chef du Service Archéologique de cette École Française d'Extrême-Orient dont il fut pendant de longues années le soutien et l'âme, pourrait-on dire. On n'a qu'à parcourir la suite des Bulletins de l'Ecole Française depuis 1901 jusqu'en 1937 pour retrouver son nom, soit sous les nombreux articles qu'il y fit paraître, soit cité dans les compte-rendus des travaux de ladite École.

Henri PARMENTIER, qui fut mon condisciple à l'École des Beaux-arts, a été pour moi en même temps qu'un maître bienveillant, un guide et un excellent ami. J'ai eu plusieurs fois, quand il venait inspecter mes travaux sur les chantiers d'Angkor, la preuve de sa largeur d'esprit et de son tact dans le fait suivant : s'il voyait un travail exécuté qu'il n'approuvait pas pleinement, il ne m'adressait aucun reproche mais me disait simplement : "Tiens, vous avez fait ainsi ? Moi j'aurais fait autrement", et je comprenais. Ce fut lui en effet qui m'initia aux méthodes archéologiques quand je vins remplacer COMMAILLE à Angkor en 1916 et travailler sous ses ordres.

Sa mort laisse un vide douloureux à tous ceux qui l'ont connu, approché et qui ont pu apprécier ses qualités de travailleur et de savant à la fois. Ce fut mon cas : je perds en PARMENTIER, dont je suis le contemporain, un peu moins âgé que lui, car il était mon ancien comme on dit dans les ateliers des Beaux-arts, un compagnon de route qui représentait une époque que nous avions vécue ensemble, époque déjà lointaine : avec lui j'ai l'impression que quelque chose de moi-même disparaît.

Henri PARMENTIER était né à Paris le 3 Janvier 1871. Bachelier ès-lettres et ès-sciences (1888-1890) il était entré à l'Ecole des Beaux-Arts, section d'architecture, en 1891.

Attaché momentanément au Service d'architecture à Tunis il débuta dans l'archéologie par un relevé et une restitution du Temple de SaturneBaal à Dougga, qui lui valut une mention honorable au Salon des Artistes français en 1896.

En 1900, l'École Française d'Extrême-Orient, qui débutait puisqu'elle fut fondée en 1898, ayant besoin d'un architecte diplômé, fit appel à son concours et il débarqua en Indochine le 1er Novembre 1900.

A cette époque, les temples d'Angkor étaient sous la dépendance du Siam ; aussi c'est par l'étude des monuments chams, répartis sur la côte annamitique que PARMENTIER commença l'œuvre immense qu'il laisse derrière lui.

L'art cham était alors très peu connu et on le confondait souvent avec l'art khmer. PARMENTIER repéra et visita tous les monuments de l'Annam ancien les uns après les autres. J'ai eu souvent l'occasion au Cambodge de le voir travailler sur place ; avec une conscience et une précision qu'il mettait dans tout ce qu'il faisait, il notait et décrivait tous les menus détails architecturaux ou décoratifs des temples dont il entreprenait la monographie. Sous un soleil ardent, en pleine brousse il prenait, sans jamais montrer la moindre fatigue, des croquis et des relevés, mesurant des hauteurs, établissant des plans, le tout accompagné d'observations et de remarques qui complétaient ses dessins. C'est ce qui donne à tous les travaux publiés par lui cette immense valeur et en fait des documents archéologiques de premier ordre. Une étude d'un monument par PARMENTIER est définitive.

Avec CARPEAUX, le fils du célèbre sculpteur, entré à l'École Française d'Extrême-Orient comme Chef des Services pratiques et mort à la tâche en 1904, il fit en 1902 une longue expédition pour explorer l'ancien royaume du Champa. Il créa à My-son, groupe important de monuments situés dans la province de Quàng-Nam, un poste d'étude pour y entreprendre une campagne de fouilles.