Grâce
au rayonnement indien durant les cinq premiers siècles de l'ère chrétienne,
dans chaque delta ou plaine côtière de l'Indochine méridionale se sont donc
formés des États, vite prospères, qui deviendront les plus brillants foyers
de civilisation de la péninsule et que l'on a très justement dénommés les
«États indianisés».
Le
plus ancien et le plus important de ces pays fut le Fou-nan, dont le centre était
entre le Bassac et le Golfe de Siam, et qui englobait peut-être aussi les
provinces méridionales du Cambodge moderne. De plus, et très tôt, ce royaume
étendant son influence jusqu'aux rivages indonésiens établit plus ou moins sa
domination sur toutes les côtes du Golfe de Siam, même au-delà peut-être sur
la Birmanie méridionale.
Nous
restituons son histoire grâce aux historiens chinois à qui, pour commencer,
nous devons son nom même: Fou-nan, forme sinisée d'un ancien mot khmer: bnam
( moderne: phnom) signifiant «montagne», que l'on suppose avoir
figuré dans la titulature du souverain du pays, dénommé «le Roi de la
Montagne». Nous ne savons pas actuellement qui, exactement, étaient les
habitants du Fou-nan. Nous y découvrons seulement des objets indiens mêlés à
un matériel de l' Age du bronze très évolué, sans pouvoir affirmer les races
ou les langues des hommes qui façonnèrent ce dernier. Les seuls vestiges
osseux étudiés à ce jour, ceux des Cent Rues, permettent de situer au moins
sur ce site une population très proche des Indonésiens, ce qui recouperait la
thèse de l'expansion de ceux-ci le long des côtes avec la civilisation
dongsonienne. L'on ne saurait oublier de plus que l'on retrouve des Indonésiens
à la même époque et avec la même culture sur la côte orientale de Malaisie.
Simultanément on peut envisager déjà un apport môn-khmer, au moins dans le
nord du pays, et l'on supposera, raisonnablement, que le Fou-nan fut peuplé par
ces deux strates juxtaposées et bientôt intimement fondues, d'autant plus qu'à
l'origine elles n'étaient guère éloignées l'une de l'autre. Il est somme
toute l'ancêtre le plus direct du Cambodge angkorien, qui le considéra
toujours ainsi.
Ces
hommes furent civilisés par l'Inde qui toucha à ces rives dès le début même
de son expansion commerciale. En effet le Fou-nan constituait l'étape idéale
vers l'Extrême-Orient. On y parvenait soit par les routes terrestres le long
des côtes birmanes puis siamoises; soit en piquant à travers le Golfe du
Bengale vers l'isthme de Kra, puis en traversant le Golfe de Siam; soit, enfin,
en contournant Sumatra par le sud pour remonter entre cette île et Java. De la
côte founanaise, abritée des typhons de la Mer de Chine, on pouvait, après s'être
ravitaillé, gagner facilement par les rivières la rive orientale de
l'Indochine et s'élancer sur la mousson favorable vers la Chine, évitant ainsi
le long et difficile détour de la pointe de Ca-mau. Par ailleurs, le Fou-nan se
trouvait à proximité des forêts des Monts du Cambodge et des Cardamomes,
riches de ces épices que les Indiens recherchaient avec avidité. Il en
produisait lui-même peut-être, avec encore de l'or alluvial. Il est également
permis de penser que sa côte fut relativement fort peuplée, très tôt, alors
que les autres rives du Golfe de Siam l'étaient peu ou pas du tout. Ce fut,
dans cette hypothèse, certes, une des raisons majeures qui fixèrent là des
comptoirs indiens. Et comme enfin ce pays, qui allait devenir le Fou-nan,
offrait en plus de ces avantages de vastes étendues d'alluvions fertiles, tout
concourait à en faire la plaque tournante des échanges dans le Sud-est asiatique.
Notre
documentation est trop pauvre pour retracer exactement les étapes
de la constitution du Fou-nan ; si nous n'en sommes plus réduits aux seules
conjectures comme pour le processus de l'indianisation, nous ne pouvons
cependant établir la ligne de démarcation entre le légendaire et
l'historique, non plus que faire coïncider exactement celui-ci avec les faits
archéologiques.
Nous
trouvons les premiers renseignements concernant le Fou-nan chez des ambassadeurs
chinois qui le visitèrent au milieu du IIIe siècle.
Ils
nous rapportent la tradition locale sur la fondation du royaume - mythe qui
vient des Indes, au demeurant, et que l'on retrouvera au Champa et au Cambodge
angkorien. Un brahmane guidé par un songe navigua vers ces rives, où il
rencontra puis épousa la fille du souverain indigène, souvent présenté comme
un roi-naga, c'est-à-dire un serpent fabuleux. Ce dernier, afin de
constituer une dot pour sa fille, but l'eau couvrant le pays que ses enfants
purent alors cultiver .
Cette
stylisation légendaire exprime admirablement tout le processus de l'indianisation.
D'abord une implantation commerciale, bientôt renforcée par des alliances
locales; puis, grâce aux leçons des maîtres indiens et aux efforts collectifs
des peuples du cru, l'exploitation des deltas inondés et jusqu'alors hostiles.
Au
début du IIIe siècle en tout cas le roi du Fou-nan avait déjà étendu sa
domination sur la plupart des pays voisins du Golfe de Siam, et il envoyait des
ambassadeurs aux Indes et en Chine. Les contacts avec la Chine ne devaient pas
cesser, mais surtout les relations avec l'Inde et l'influence exercée par
celle-ci s'accrurent au cours des IVe et Ve siècles. Nous voyons même, vers
357, un Indien régner au Fou-nan, peut-être d'origine scythe et de la souche même
de Kanishka, ce qui pourrait expliquer en particulier le succès du culte de
Surya et de son iconographie dans l'art founanais. Un autre brahmane indien, au
moins, lui succédera. C'est à ce moment que le Fou-nan devint véritablement
une grande nation et constitua son art original.
Finalement,
nous entrons dans la période qui est suffisamment connue, en particulier par
les inscriptions locales en sanscrit, pour que nous donnions des dates et des
faits précis. Lc roi Kaundinya- Jayavarman, lui-même issu d'un brahmane venu
des Indes, régna sur le Fou-nan entre 478 et 5 l 4. Il entretint des relations
suivies avec la Chine. Ainsi un moine bouddhique indien nommé Nagasena portera
de sa part à l'empereur de Chine des statues founanaises du Bouddha. Car si la
religion dominante des rois du Fou-nan fut le brahmanisme, et plus particulièrement
le sivaïsme, le bouddhisme y fleurit aussi très tôt. Dès le Ve siècle deux
moines founanais étaient assez versés en sanscrit pour s'installer en Chine et
traduire les textes bouddhiques en chinois. On peut juger par là du degré de
culture atteint dans ce pays. Le dernier grand souverain founanais fut
Rudravarman - 5I4 - après 539 -, fervent vishnuite, à qui nous devons le
premier ensemble plastique connu de l'Indochine indianisée.
Peu
après le Fou-nan fut conquis par le Tchen-la, autre état indianisé qui s'était
développé parallèlement dans les hautes terres de l'Indochine moyenne et qui,
par cette fusion, va préparer le Cambodge angkorien.
1.1.2
La civilisation founanaise
Les
textes chinois et surtout les récentes explorations archéologiques aériennes,
permettent de caractériser brièvement la civilisation founanaise. Son éclat
est certain dès le IVe siècle puisqu'il suscitait alors l'admiration des
Chinois, juges volontiers contempteurs. Selon eux le pays regorgeait d’or,
d’argent, de perles et d’épices. Certes, l’activité essentielle qui
avait été à l'origine de son épanouissement et demeurait son ressort
fondamental, était bien le commerce. Nous verrons en étudiant les objets
recueillis dans une cité founanaise que ces échanges s'étendaient depuis Rome
jusqu’ à la Chine. Mais la côte founanaise n'offre que deux ports naturels,
des estuaires ; pour le reste, basse et marécageuse, elle ne constitue pas un
atterrissage idéal. Des villes ne pouvaient guère s'établir directement sur
ce sol spongieux. Et pour que les voyageurs et les marchands installés dans les
ports puissent vivre, encore fallait-il assurer leur ravitaillement. La base de
toute l'organisation puis de l'expansion founanaise fut donc l'aménagement de
l'arrière-pays et son exploitation par l'agriculture. Les maîtres en la matière
furent certainement les Indiens, dont nous connaissons les remarquables travaux
d'hydraulique agricole et de mise en culture, dans le pays tamoul sous les
Pallava ou à Ceylan par exemple. Sur leurs conseils les Founanais purent
utiliser la bande de limon qui s'étend entre le Bassac et la côte du Golfe de
Siam. L'archéologie aérienne, en effet, y révèle un étonnant réseau
constitué par des étoiles de canaux rectilignes, se commandant les unes les
autres et disposées selon une trame générale nord-est/sud-ouest, c'est-à-dire
du Bassac vers la mer. C'est, en effet, la ligne de pente du terrain et nous
supposons assez logiquement que les crues du Bassac la suivaient jadis comme
aujourd'hui. Tout comme nous voyons actuellement que la mer remonte facilement
par les embouchures des rivières au cours trop lent et vient charger le sol de
sel, le rendant incultivable. On peut donc croire que ce réseau founanais
servait à évacuer les crues du Bassac vers la mer et à laver du même coup
les sols alunés, refoulant les avancées saumâtres et permettant, ainsi, la
culture du riz flottant. Simultanément les canaux s'ouvraient à la batellerie
qui desservait tout le pays; ils laissaient enfin les navires de haut bord
gagner directement les villes installées à l'intérieur des terres, peut-être
même, par le Bassac et le Mékong, rejoindre la côte orientale de Cochinchine.
Aux centres nerveux de cet écheveau délicat on a découvert d'immenses cités,
Où devait se concentrer toute la richesse founanaise. Elles sont ceinturées
par des lignes successives de remparts en terre et de fossés, jadis pleins de
crocodiles nous disent les auteurs chinois. Les canaux y pénétraient en autant
d'artères, les divisant en quartiers. Et l'on peut imaginer les maisons et les
magasins sur pilotis bordés de navires, comme à Venise ou dans les villes hanséatiques.
Cet ensemble impressionnant, unique en Asie du Sud-est à cette époque, atteste
à la fois la puissance économique du pays et sa concentration sociale,
explique son pouvoir politique et sa domination.
En
dehors de cette organisation de l'espace qui prouve de reste le très haut
niveau atteint par les techniques au Fou-nan, nous ne savons pas grand-chose de
son art à ses débuts entre le IIIe et le Ve siècle. Certes les textes chinois
s'étendent sur son raffinement: le palais du roi était construit en essences
précieuses et meublé somptueusement; les Founanais façonnaient des images
divines en bronze. En 503 Kaundinya - Jayavarman envoya à l'empereur de Chine
une statue du Bouddha en corail et un stupa en ivoire. Une reine du Fou-nan érigera
des statues en bronze incrustées d'or. Mais de tout cela il ne subsiste rien,
et nous ne connaissons qu'un seul site du Fou-nan : Oc-èo, où des sondages ont
livré quelques vestiges architectoniques et une masse de petits objets, que
l'on peut regrouper avec les trouvailles de hasard faites dans le reste de la
Cochinchine afin de se faire au moins une idée des moyens et des sources de
l'art founanais à ses débuts.
1.2.1 Les sources de l'art founanais
Parmi
les objets découverts à Oc-èo et dans le reste du Fou-nan, on doit distinguer
les pièces importées et les créations locales. Les premières nous intéressent
d'abord parce qu'elles attestent et datent un commerce intense et que, d'autre
part, elles furent visiblement les sources de la plastique founanaise.
Les
oeuvres indiennes viennent au premier rang par leur nombre et leur importance.
Une tête de Bouddha d'allure gandharienne, découverte au Ba-thê, pourrait être
une des plus anciennes de cette série. Mais on dénombre surtout des bijoux en
or, par exemple des bagues ornées d'un bœuf à bosse; ou encore des
bagues-cachets gravées de formules commerciales rédigées en sanscrit et dans
l'alphabet brahmi. On peut donc les placer entre le IIe et le Ve siècle. Ces mêmes
formules se retrouvent sur pierre dure, car les intailles semblent avoir été
particulièrement populaires dans ces régions. Exprimées par cette technique
on trouve aussi des scènes religieuses: femme effectuant une libation sur un
autel du feu, ou présentant une fleur. Ces pièces, tout comme de nombreuses
amulettes en étain, portent des symboles vishnuites ou sivaïtes et révèlent
l'implantation des religions indiennes au Fou-nan.
Les
objets indiens ne sont pas les seuls à être parvenus aux rives founanaises. On
y découvre aussi des créations chinoises: fragment de miroir en bronze, qui
remonterait aux Han postérieurs; statuettes bouddhiques, en bronze toujours,
attribuées aux Wei. Mais surtout on isole un groupe d'objets purement romains.
Tout d'abord une médaille en or d'Antonin le Pieux datée de 152 apr. J.-C.,
puis une autre pièce sans doute de Marc Aurèle; une série d'intailles sur
pierre dure ou sur verre présentant, par exemple, un coq sur un char traîné
par des souris, une scène érotique, etc., toute une série échelonnée du IIe
au IVe siècle qui a le double mérite de dater les sites founanais où elle a
été retrouvée et de montrer l'ampleur du commerce à cette époque. Ce que
confirme encore un cabochon en pâte de verre bleu orné d'un personnage royal
respirant une fleur, certainement d'origine sassanide. Cela ne sera plus pour
nous étonner alors que l’on a retrouvé des tessons attiques en Malaisie; que
l'on a déterré une belle lampe de bronze décorée d'un masque de Silène, d'époque
ptolémaïque, à Pong Tuk au Siam; ou à Pong Tuk encore et en d'autres points
d'Indochine des lampes en céramique et romaines cette fois. Ces apports
commerciaux expliquent bien mieux que toute autre hypothèse, les quelques
influences occidentales reconnues à la fin de la culture de Dong-son. Et leur
passage par le Fou-nan est des plus plausibles lorsque l'on songe aux liens étroits
et aux affinités ethniques de ces deux systèmes.
Pourtant
les oeuvres méditerranéennes ne semblent pas avoir influencé la plastique du
Fou-nan et les styles qui en découlèrent, au moins durablement. Aussi bien n'y
sont-elles parvenues qu'en petit nombre et de main en main, par l'entremise des
Indiens. On ne trouve pas à Oc-èo du moins, de preuves directes du séjour
d'Occidentaux, comme cela est le cas dans les ports indiens. Si les auteurs
latins et grecs abondent en détails manifestement de première main sur l'Inde,
ils sont des plus vagues sur ces régions qu'ils dénommaient l'Inde transgangétique.
Il se peut, tout au plus, que ces pièces aient inspiré des techniques au
Fou-nan. En particulier l'art de l'intaille, peu pratiqué aux Indes même et
qu'on ne retrouvera plus guère attesté en Indochine par la suite,
semble avoir brillé au Fou-nan. Il en fut peut-être de même pour l'industrie
des perles en verre et en pierre dure, qui fleurit au Fou-nan et fut sans doute
une des sources de son commerce.
1.2.2
Les débuts de l'art founanais
C'est
donc en définitive bien en Inde qu'il faut chercher les modèles de l'art
founanais, qui se constitua durant cette période. Car à côté des objets
importés nous trouvons aussi des oeuvres manifestement locales. Au début, à
vrai dire, assez modestes et consistant surtout en intailles, en plaques d'étain
moulé et en bijoux. Mais elles ont l'immense mérite de nous présenter pour la
première fois le visage même de leurs auteurs, d'ouvrir des aperçus sur leurs
croyances en même temps qu'elles jalonnent les étapes du premier des arts
indigènes formé à l'école indienne.
Les figurations les plus importantes sont sur de belles intailles en pierre dure, et montrent un personnage assis sur un trône bas, une jambe repliée sur le siège, l’autre pendant librement devant, dans l'attitude bien connue de «l'aisance royale» familière à l'iconographie indienne. Parfois il est abrité sous un dais, ou coiffé d'un bonnet conique. On retrouve ce thème sur des plaques d'étain associé, au revers, à un bœuf à bosse, animal royal par excellence. On peut y reconnaître un souverain, voire ce «Roi de la montagne» lui-même qui régnait sur le Fou-nan. Tout aussi importantes sont d'autres intailles montrant la femme aux offrandes d'origine indienne qui, avec les amulettes déjà mentionnées et pour la plus grande part de confection founanaise, prouvent le succès des religions indiennes auprès des indigènes. Enfin, sur d'autres plaques d'étain on croit reconnaître des habitants du Fou-nan, presque sans vêtements, avec de longs cheveux nattés, tout à fait ces «sauvages à demi nus» que rencontrèrent les premiers navigateurs indiens et qui surent se montrer si bons élèves. Les bijoux, en particulier, prouvent que les Founanais égalèrent bientôt leurs maîtres: boucles d'oreille en or au fermoir délicat; admirables filigranés d'or; perles de verre, intailles, etc. On a déjà dit, d'ailleurs, que l'installation puis le développement de ces industries furent sans doute une des sources de la prospérité des Founanais, qui purent alimenter leur commerce car c'étaient là des objets d'échanges admis dans toutes les mers du Sud. Ainsi Ies Founanais auraient été en mesure de poursuivre ce commerce auquel les Indiens les avaient initiés mais dont ces derniers se lassèrent assez vite.
la
plupart des édifices étaient en bois et sur pilotis, tant pour utiliser
directement les artères liquides que pour éviter les inondations. Seulement en
dehors de quelques fragments de pieux, rien n'en a subsisté et nous sommes réduits
à les imaginer d'après les textes, probablement richement sculptés et meublés,
peut-être assez proches des constructions de l'époque préangkorienne que nous
décrirons plus loin. Des édifices en matériaux plus durables furent également
élevés au Fou-man et l'on a de bonnes raisons de croire qu'il s'agissait alors
de sanctuaires, brique et pierre fort rares dans ce pays deltaïque étant réservés
aux dieux, comme aux Indes. Nous n'en connaissons que quelques vestiges mis à
nu à Oc-èo et bien difficiles, maintenant, à interpréter.
Le plus vaste est l'édifice
A de ce site Où l'on a retrouvé des fondations en brique, imposantes, orientées
est-ouest et qui pourraient correspondre à la base d'un stupa ou d'un temple.
Beaucoup plus intéressant est l'édifice inventorié sous la lettre K, à Oc-èo
toujours. Disposé nord-sud il déploie trois niveaux superposés : des
fondations en brique; puis une modeste cellule à peu près parallélépipédique
constituée d'énormes dalles en granit assemblées par tenons et mortaises réservées
sur chacune d'entre elles ; le tout surmonté d'une petite structure dont on a
retrouvé les deux frontons vaguement trilobés, également en dalles de granit,
qui pouvaient correspondre à une couverture en berceau. A proximité s'élevait
un bâtiment annexe en brique comportant au moins trois chambres et entouré sur
trois côtés d'une galerie. Il semble bien que l'on ait là une imitation de
ces sanctuaires monolithes qui abondent dans l'Inde du Sud et centrale à cette
époque. Cette influence de l'architecture gupta ou post-gupta est manifeste à
d'autres vestiges épars sur le territoire du Fou-nan, comme les éléments en
terre cuite qui servaient à décorer les structures: tuiles et abouts,
pilastres ou colonnettes, fausses lucarnes avec la tête d'un personnage
apparaissant dans l'encadrement. Deux belles pièces de ce genre ont été découvertes
au Nui-sam (fausse lucarne
décorant probablement un édifice religieux. Phuoc-co-tu, Nui-sam, Sud Vietnam.
Art du Fou-nan : VIe siècle apr. JC. Terre cuite, polychromie moderne, hauteur
0.27m. Musée National de Saïgon - Hochiminh ville).
Elles révèlent un goût décoratif très sûr et peuvent être datées, d'après les prototypes indiens, des dernières années du Ve ou des premières années du VIe siècle.
Il est possible que cette architecture en matériaux permanents corresponde seulement à la dernière période du Fou-nan, soit surtout au Ve siècle. En tout cas elle atteste bien une influence indienne si forte que l'on déploya des efforts exceptionnels pour reconstituer une architecture monolithe qu'il était impossible, faute de rochers ou de falaises appropriées, de pratiquer comme aux Indes. Mais déjà pourtant on relève des solutions techniques, comme cette formule des dalles assemblées, qui révèlent un esprit nouveau et d'invention féconde, bref les premiers pas d'un art personnel.
Aucune
grande sculpture n'a été découverte, qui montre la statuaire founanaise à
ses débuts. Pourtant, nous savons bien qu'elle existait puisqu'on en expédiait
jusqu'en Chine dès les premières années du VIe siècle. Il faut peut-être
supposer que jusqu'à cette époque la sculpture en pierre fut très rare, ne
serait-ce que par ce que la matériau faisait défaut dans les plaines deltaïques
auxquelles se limitait à peu près le royaume durant cette période. On y
pratiquait de préférence la fonte des métaux ou bien la sculpture sur bois.
De fait on a découvert dans la Plaine des Joncs des bouddhas debout en bois;
l'un d'entre eux, admirable, imite si bien les oeuvres gupta qu'on est fondé à
le placer vers la fin du IVe siècle. Il prendrait alors la suite des bouddhas
indiens déjà signalés, et aussi d'une tête de Bouddha découverte dans le
Sud du Cambodge, à Vat Romlok, où transparaissent encore nettement les
caractères du style d'Amaravati.
Lc
premier groupe d' oeuvres que l'on puisse réellement attribuer au Fou-nan se
situe dans le premier quart du VIe siècle. Il s'agit de statues vishnuites qui
presque toutes proviennent du Phnom Da, haut lieu sacré d'une capitale toute
proche: Angkor Borei. Il semble en effet qu'à cette époque le centre du
Fou-nan se soit déplacé vers cette région, soit à cause de la pression du
Tchen-la, soit encore que des modifications du régime du fleuve aient rendu
inhabitable le Transbassac et provoqué une émigration vers les terres émergées
en permanence du Cambodge méridional.
Il
est de plus possible que le commerce maritime ait, à ce moment, perdu de son
importance, partant la façade côtière du pays. Quoiqu'il en fût la statuaire
en pierre apparaît ce moment; notons que ce matériau était plus facile à se
procurer dans le pays nouveau où se repliait le Fou-nan.
Ces
statues ont été très justement attribuées au règne de Rudravarman - 514 -
après -539 qui fut un fervent vishnuite comme le proclament ses inscriptions.
Les plus belles créations s'échelonneraient exactement durant son règne et
ont été classées sous la rubrique de style A du Phnom Da. On mentionnera
surtout les deux admirables Krishna govardhana de la collection Stoclet à
Bruxelles et du Phnom Da (Krishna soulevant le Mont
Govardhana. Vat Ko, Ta Kéo, Cambodge. Haut relief sur dalle de grès faisant sans doute partie d'une grotte sanctuaire artificielle. Art du Fou-nan; style de Phnom Da :entre 514 et 539 apr.JC Grès; 1.61m. Musée National de Phnom
Penh), ainsi
que deux grands Vishnu, un Balarama, un Parasurama et une Lakshamana, également
au musée de Phnom Penh et tous du Phnom Da. L'imitation des modèles indiens
est évidente, et plus précisément des sculptures post-gupta du premier style
d'Ellora, c'est-à-dire des grottes l à 10, 14 (Ravana ka khai) et 19 (Ramesvara)
de ce site, ainsi que des grottes d'Aurangabad et de Deogarh. Et pourtant ce
sont déjà des Créations originales qui ne sauraient être confondues avec des
pièces indiennes, même par oeil le moins exercé.
Tout
d'abord nous trouvons là des sculptures déjà pratiquement en ronde bosse. On
sait que l'Inde n'a jamais pu ou voulu ? - évoluer dans l'espace et s'est limitée
à un très haut relief adossé, fermé, par un plan - stèle ou paroi. Cette
convention fut adoptée telle quelle par le Champa ou Java, qui n'allèrent
point au-delà. Or, dès leurs débuts, nous voyons les sculpteurs du Fou-nan
chercher dans une autre direction. Sans doute les Krishna govardhana sont-ils
adossés à un panneau de pierre. La représentation imposait ce dispositif,
puisqu'on n'imagine guère le moyen de rendre en ronde bosse une montagne dressée
en équilibre sur une main. D'ailleurs, on ne pouvait au Phnom Da creuser réellement
une grotte comme en Inde. Il est donc probable que ces oeuvres constituaient et
décoraient du même coup les parois d'une grotte artificielle réalisée par
ces panneaux de pierre juxtaposés.
Par
contre d'autres divinités, qui devaient être les idoles de ces mêmes
grottes-sanctuaires, sont entièrement exprimées dans l'espace et leur dos a reçu
autant de soins que leur face. Elles ne sont pas encore entièrement libres.
L'artiste craignait probablement d'aventurer dans le vide des masses aussi
considérables avec le seul appui fragile des chevilles, et de ciseler, sans
support, des extrémités délicates comme les mains et leurs attributs. Cela
d'autant plus que les conventions iconographiques indiennes adoptées intégralement
imposaient quatre ou même huit bras pour les Vishnu, par exemple.
Aussi
le sculpteur founanais a-t-il utilisé le plan de la stèle à laquelle le modèle
indien imité était adossé. Mais il dégagea le corps et les bras, éliminant
le fond de la stèle pour n'en conserver qu'un halo de pierre en forme de fer à
cheval. Sur cet «arc de soutien» assurant tout l'ensemble, il put ciseler
facilement les mains et leurs attributs. D'autres solutions techniques, répondant
au même besoin de sûreté, ont été conjointement expérimentées. Là, les
mains inférieures reposent sur des étais verticaux en pierre réservés avec
le socle et constituent, de part et d'autre des jambes, deux supports supplémentaires
mais maquillés sous forme d'attributs iconographiques tels que massue ou arme.
Ou bien un pan du vêtement est représenté tombant entre les jambes, qu'il
renforce; ou, enfin, des étrésillons en pierre sont réservés entre les mains
et le cou. Malgré ces artifices, ménagés d'ailleurs avec une habileté
Consommée, le Corps est traité intégralement et cerné de lumière.
C'est
le progrès le plus considérable de la sculpture indianisée en Asie du Sud-Est:
il commandera le développement de toute la statuaire khmère.
Les
Corps sont exprimés avec douceur et subtilité à la fois: modelé enveloppant
et arrondi, qui indique seulement les grandes masses musculaires, avec discrétion,
et pourtant d'une sensibilité frémissante lorsqu'il dessine l'élan d'un
mouvement ou le savant équilibre d'un corps au repos, fléchissant légèrement
sur lui-même afin de mieux trouver son assise.
Un
pagne très court, retenu par une ceinture, drapé autour des reins et sur le
haut des cuisses; avec un pan repassant entre les jambes pour venir s'accrocher
derrière dans la ceinture, constitue la seule parure de ces statues. Peut-être
de vrais bijoux les ornaient-elles dans les sanctuaires. Les coiffures sont intéressantes:
tantôt la mitre cylindrique deVishnu; tantôt des perruques compliquées de
tresses et de boucles, mais laissant toujours paraître sur le devant - détail
caractéristique - une frange de boucles de la chevelure naturelle dont la présence
est ainsi suggérée sous la coiffure.
Enfin
le calme et la beauté sereine des visages arrondis, au nez mince et busqué,
aux yeux étroits en amande couronnés d'arcades sourcilières aiguës et
jointives, s'allient admirablement à la pureté de ces créations.
Après
le règne de Rudravarman et peut-être .jusqu;au milieu du Ve siècle, date de
la soumission du Fou-nan par le Tchen-Ia, on voit cette statuaire se maintenir
mais perdre quelques-unes de ses plus belles qualités.
Aussi
classe-t-on les oeuvres de cette période, comme par exemple les Vishnu de Tuol
Dai Buon et de Chong Pisei, sous la rubrique de style B du Phnom Da. Le
traitement du corps devient flou; la coiffure est moins bien rendue parce que
mal comprise; l'interprétation du vêtement est également maladroite et une
retombée frontale supplémentaire traitée en «queue de poisson» apparaît,
qui deviendra une des caractéristiques essentielles de la statuaire khmère.
Parallèle
à cet art brahmanique, on trouve encore une statuaire bouddhique que l'on peut
raisonnablement classer selon ces deux phases successives du style du Phnom Da.
Nous avons déjà vu combien le bouddhisme avait été florissant au Fou-nan.
Petit puis Grand Véhicule se partagèrent les faveurs de ses habitants, et il
est donc normal d'y trouver des représentations du Sage. Sur ce point, il est
vrai, l'exemple doit être venu plus directement de l'Inde qui a créé très tôt
un type de bouddha en ronde bosse, en particulier avec le style d'Amaravati. Après
la tête de Vat Romlok et les statues en bois - IVe siècle ? - on peut dater du
règne de Rudravarman les deux très beaux bouddhas debout découverts également
à Vat Romlok et actuellement au musée de Phnom Penh. Ils sont manifestement dérivés
des types postgupta encore que, au contraire de ces derniers, ils soient asexués
sous la robe collante, caractéristique qui demeurera celle de toute la
statuaire bouddhique de l'Asie du Sud-Est.
Comme
pour les pièces vishnuites ces oeuvres ont été réalisées en ronde bosse, le
seul artifice de renforcement consistant en un voile de pierre sur toute la
longueur du socle, où l'on a rendu en relief les chevilles et le bas de la
robe. La douceur du modelé tout en courbes délicates, les visages arrondis et
comme souriants, le traitement des yeux et du nez sont presque identiques à
ceux que nous avons rencontrés sur les pièces brahmaniques du style A du Phnom
Da. Particularité qui demeurera au Cambodge, les boucles de la chevelure sont
exprimées par de larges spirales aplaties et le chignon, ou ushnisha, est
absent ou à peine visible.
Peu
après, et cette fois contemporaines du style B du Phnom Da, on peut situer des
statues du Bouddha le plus souvent représenté assis. Elles proviennent presque
toutes du Sud de la Cochinchine, où les traditions du Fou-nan se maintiendront
longtemps. La pièce la plus intéressante est le bouddha de Son-tho (Tra-vinh)
: il faut pourtant reconnaître que davantage encore que pour la statuaire
brahmanique, le déclin est sensible.
L'intérêt
de ces oeuvres est essentiellement historique. De plus il est difficile
de caractériser l'école bouddhique de sculpture founanaise, qui semble avoir
frayé de nombreuses voies à la fois. Or nous possédons trop peu d'exemplaires
pour assurer nos classements, et surtout nous n'avons pas l'occasion d'y
rencontrer un ensemble aussi homogène que celui du Phnom Da, dont la haute
qualité tient manifestement à la sollicitude royale.
De
l'architecture qui correspondit à cette dernière période de l'art founanais,
nous ne savons rien : en particulier aucun édifice d'Angkor Borei n'a pu être
étudié. Nous ne pouvons qu'imaginer les grottes-sanctuaires artificielles réalisées
au Phnom Da au moyen de dalles de grès. Après l'édifice K de Oc-éo, nous
voyons donc se maintenir cette imitation scrupuleuse des modèles indiens, grâce
à des techniques originales et qui palliaient somme toute fort bien les
difficultés locales. On doit encore signaler à Angkor Borei des têtes en
stuc: sans doute sont-elles de facture assez pauvre, avec une chevelure stylisée
et mal comprise; on doit peut-être les rapporter au VIIe siècle. Leur intérêt
est d'attester une architecture en brique décorée en stuc que nous allons
bientôt trouver au Cambogde préangkorien, et qui succède peut-être à
l'architecture en brique avec éléments en terre cuite antérieurement pratiquée
au Fou-nan. Ainsi aurons-nous quelques jalons, modestes, mais précieux pour
imaginer la formation de l'art khmer.
Là
certes ne se limitaient point les créations founanaises, mais nous ne
connaissons rien d'autre. D'ores et déjà pourtant, à la veille de la
disparition du Fou-nan en tant qu'unité politique et après plus de quatre siècles
de prospérité, nous voyons qu'une évolution complexe - que nous ne devons pas
oublier même si nous ne pouvons toute la reconstituer - avait fait naître un
art très vite puissant, maître de son esthétique et de ses moyens,
souvent original, qui ne doit plus à l'Inde que ses thèmes iconographiques.
Il exprime manifestement
une société nouvelle. Malgré les divisions politiques qui vont ensuite
morceler l'Indochine près de deux siècles durant, l'art founanais fera sentir
ses effets dans toute la péninsule indianisée et il aura été vraiment à
l'origine de ses différents styles.
Parallèlement
au Fou-nan, bien que moins glorieusement, d'autres États indianisés se formèrent
en Indochine. Seulement nous sommes encore plus mal renseignés, s'il est
possible, sur leur genèse parce que l'archéologie du reste de la péninsule
pour cette époque est encore entièrement à faire.
Seul le royaume du Champa
apparaît avec quelque relief. Voisin immédiat des colonies Han du Tonkin et dès
le début en lutte avec celles-ci, il est souvent mentionné par les historiens
chinois à partir du IIIe siècle.
Vers la fin du IIe siècle
de notre ère des états guerriers s'étendaient au sud du Col des Nuages. Ce
pays, dénommé Lin-yi par les Chinois, ne laissait pas d'embarrasser ses
puissants voisins du nord par des raids constants.
Les Chams, qui
l'habitaient, étaient bien entendu issus de ces Indonésiens qui avaient créé
la culture de Dong-son. Il est très probable que leur civilisation résulta
finalement de cette ancienne tradition combinée avec les influences,
dominantes, de l'Inde. Navigateurs hardis s'il en fut, admirablement placés sur
les flancs de la route de Chine et au pied des forêts riches en épices, les
Chams ne pouvaient qu'attirer très tôt les Commerçants indiens. Nous avons déjà
trouvé sur leurs rives le magnifique bouddha de Dong-duong, dérivé de l'art
d'Amaravati. Ce n'est sans doute pas un hasard car sous l'influence indienne une
principauté se constitua au même emplacement qui se nomma précisément
Amaravati ( actuel Quang-ngam) . Presque simultanément d'autres royaumes
apparaissaient dans les diverses régions naturelles du pays: le Vijaya dans le
moderne Quang-binh; le Khautara dans la plaine de Nha-trang, et le Panduranga
dans celle de Phan-rang. Si l'influence indienne fut prépondérante, on ne doit
pas pour cela négliger celle de la Chine avec qui les Chams étaient en contact
permanent bien que souvent belliqueux, et qui avait déjà si largement modelé
la culture de Dong-son.
Les ambassades et les
guerres avec la Chine continuèrent d'alterner durant les IIIe et IVe siècles,
cependant que des relations étroites furent nouées avec le Fou-nan, qui ne
durent pas peu contribuer à diffuser la culture indienne.
Vers 400 nous pouvons
situer le premier souverain historique du Champa, Bhadravarman, qui fonda un
sanctuaire dédié à Siva dans le cirque montagneux de Mi-son, pour les siècles
à venir le centre de tous les cultes royaux. La capitale devait s'élever sur
l'emplacement de Tra-kieu où des inscriptions en sanscrit et en cham émanant
de lui ont été retrouvées. De son
temple, incendié par la suite, non plus que de cette ville nous ne Connaissons
aucun vestige. Les Chinois assurent que les Chams, dès cette époque, étaient
passés maîtres dans l'art de construire en brique, et il y a tout lieu de
croire qu'ils étaient non moins habiles fondeurs et sculpteurs. Cependant
jusqu'à la fin du VIe siècle, moment auquel apparaît une nouvelle dynastie,
nous ne savons à peu près rien de leur histoire.
C'est
durant cette période que dut se constituer leur art, assimilant les diverses leçons
dont les Chams avaient bénéficié, car lorsque nous en rencontrerons les premières
manifestations au cours du VIle siècle il apparaît déjà comme pleinement
formé et original.
1.4
LA PÉNINSULE MALAISE ET LE SIAM
Il
est tentant, au simple vu d'une carte géographique, de supposer que la Péninsule
malaise fut le relais essentiel sur la route maritime de l'Inde vers l'Extrême-Orient
et joua, par conséquent, un rôle fondamental dans l'expansion de l'art indien.
Rien n'est moins sûr pourtant. Nous n'en trouvons aucune preuve archéologique
positive dans le sud de la Malaisie, fort peu dans le centre et encore,
d'importance secondaire car pour la plupart postérieures au VIe siècle. Et
l'on pourrait tout aussi bien les attribuer à l'influence du Fou-nan que nous
savons avoir été prépondérante à cette époque. En fait les routes
maritimes les plus fréquentées nous semblent avoir été par le sud de Sumatra
et à partir de Java,
cependant que la route terrestre principale aurait suivi la Birmanie sur l'axe
Moulmein- Tavoy/Pra Pathom, ce qui explique bien la prospérité, et cela de très
bonne heure, de cette dernière région. Néanmoins dès le IIe siècle de l'ère
chrétienne des états indianisés s'étaient formés en Malaisie centrale, et
il n'est pas dit que des recherches archéologiques sérieuses ne nous y réservent
encore des surprises. Les historiens chinois mentionnent divers royaumes, qui
auraient été ensuite soumis par le Fou-nan.
Les
plus importants furent ceux du Tembralinga, sans doute l'actuelle région de
Ligor ; le Lankasuka, dans le Nord Pérak, à cheval sur les côtes occidentales
et orientales de la péninsule. Des textes sanscrits remontant au Ve siècle ont
été retrouvés dans ce secteur. A Kuala Selingsing, dans un niveau typique de
l'âge du bronze, on a découvert un sceau en Cornaline inscrit au nom de Sri
Vishnuvarman, dans un alphabet qui doit être antérieur au Ve siècle et
s'apparente à ceux d'Oc-èo. Dans le Kcdah, sur la rivière de Bujang, a été
mis à jour un petit bouddha en bronze que l'on peut raisonnablement rapporter
aux modèles gupta du IVe siècle et qui est fort proche des pièces
contemporaines découvertes à Pong Tuk, au Siam, que nous allons étudier. Les
auteurs chinois nous disent que les habitants du Lankasuka, en particulier,
habitaient des cités entourées de remparts en brique, et savaient construire
des palais en bois couverts en terrasse. Mais là, ou à peu près, s'arrête
notre documentation.
Simultanément
les Pyus de l'Iraouadi et les Môns du Ménam voyaient s'implanter chez eux,
selon un processus que nous connaissons bien maintenant, la civilisation
indienne. Dès le VI e
siècle au moins, des colonies converties au bouddhisme florissaient autour de
romé, de Pagan et de Thaton en Birmanie, de Srideb, de Korat, de Pra Pathom et
de Pong Tuk au Siam. Ces deux derniers centres furent, plus tard, englobés dans
le grand royaume môn du Dvaravati, sans que nous puissions voir si celui-ci
existait dès ce temps-là. En tout cas l'influence gupta y est attestée par
des petits bouddhas en bronze dé~couverts à Korat et à Pra Pathom, qui
se rattachent et par leur date et par l'influence commune subie au bouddha de
Dong-duong, puis aux bouddhas du Fou-nan et à celui de Bujang. Il semble
que le bouddhisme se maintint plus longtemps au Siam ou, à tout le moins, plus
exclusivement. A Pra Pathom et à Pong Tuk nous voyons ce style du bouddha se
perpétuer jusqu'à la création d'un type nouveau justement qualifié de «môn»,
que nous étudierons. Toutefois ces témoins sont encore trop rares et trop isolés
pour que nous puissions avancer davantage leur histoire.
De
plus, le problème se complique de par l'influence probable du Fou-nan sur ces régions.
L'expansion politique du grand royaume permet de supposer également une
influence plastique, qui a pu oblitérer ou modifier les données indiennes.
C'est
ainsi qu'à Srideb, par exemple, on a retrouvé un admirable torse de Krishna
govardhana, actuellement au musée de Bangkok, si exactement parallèle à ceux
du Phnom Da qu'on hésite entre une oeuvre de la même école ou, au contraire,
un prototype de l'art founanais.
Reste,
en somme, le fait général de l'indianisation à l’œuvre sur toutes les
populations de l'Indochine méridionale depuis le IIème siècle au moins, et
qui commence de porter ses fruits à partir du Ve siècle surtout. Chaque grande
unité naturelle de la péninsule apparaît alors comme le foyer d'une société
autonome et solidement organisée. La plus vaste, la plus riche, donc la plus
importante fut l'empire du Fou-nan. Il réussit très vite à dominer
politiquement ses voisines parce qu'il fonda, outre le commerce, sa puissance
sur une économie heureusement diversifiée, depuis les industries jusqu'à
l'agriculture intensive. Il a, tout normalement, créé l'art qui nous
apparaît comme le plus dynamique, le plus original et le plus beau. Si le
Fou-nan disparut ensuite politiquement, il n'en demeure pas moins que toute
cette période restera placée sous son signe.