1. L'EMPIRE DU FOU-NAN (225-539)

 Grâce au rayonnement indien durant les cinq premiers siècles de l'ère chrétienne, dans chaque delta ou plaine côtière de l'Indochine méridionale se sont donc formés des États, vite prospères, qui deviendront les plus brillants foyers de civilisation de la péninsule et que l'on a très justement dénommés les «États indianisés».

 1.1 LE FOU–NAN

Le plus ancien et le plus important de ces pays fut le Fou-nan, dont le centre était entre le Bassac et le Golfe de Siam, et qui englobait peut-être aussi les provinces méridionales du Cambodge moderne. De plus, et très tôt, ce royaume étendant son influence jusqu'aux rivages indonésiens établit plus ou moins sa domination sur toutes les côtes du Golfe de Siam, même au-delà peut-être sur la Birmanie méridionale.

Nous restituons son histoire grâce aux historiens chinois à qui, pour commencer, nous devons son nom même: Fou-nan, forme sinisée d'un ancien mot khmer: bnam ( moderne: phnom) signifiant «montagne», que l'on suppose avoir figuré dans la titulature du souverain du pays, dénommé «le Roi de la Montagne». Nous ne savons pas actuellement qui, exactement, étaient les habitants du Fou-nan. Nous y découvrons seulement des objets indiens mêlés à un matériel de l' Age du bronze très évolué, sans pouvoir affirmer les races ou les langues des hommes qui façonnèrent ce dernier. Les seuls vestiges osseux étudiés à ce jour, ceux des Cent Rues, permettent de situer au moins sur ce site une population très proche des Indonésiens, ce qui recouperait la thèse de l'expansion de ceux-ci le long des côtes avec la civilisation dongsonienne. L'on ne saurait oublier de plus que l'on retrouve des Indonésiens à la même époque et avec la même culture sur la côte orientale de Malaisie. Simultanément on peut envisager déjà un apport môn-khmer, au moins dans le nord du pays, et l'on supposera, raisonnablement, que le Fou-nan fut peuplé par ces deux strates juxtaposées et bientôt intimement fondues, d'autant plus qu'à l'origine elles n'étaient guère éloignées l'une de l'autre. Il est somme toute l'ancêtre le plus direct du Cambodge angkorien, qui le considéra toujours ainsi.

Ces hommes furent civilisés par l'Inde qui toucha à ces rives dès le début même de son expansion commerciale. En effet le Fou-nan constituait l'étape idéale vers l'Extrême-Orient. On y parvenait soit par les routes terrestres le long des côtes birmanes puis siamoises; soit en piquant à travers le Golfe du Bengale vers l'isthme de Kra, puis en traversant le Golfe de Siam; soit, enfin, en contournant Sumatra par le sud pour remonter entre cette île et Java. De la côte founanaise, abritée des typhons de la Mer de Chine, on pouvait, après s'être ravitaillé, gagner facilement par les rivières la rive orientale de l'Indochine et s'élancer sur la mousson favorable vers la Chine, évitant ainsi le long et difficile détour de la pointe de Ca-mau. Par ailleurs, le Fou-nan se trouvait à proximité des forêts des Monts du Cambodge et des Cardamomes, riches de ces épices que les Indiens recherchaient avec avidité. Il en produisait lui-même peut-être, avec encore de l'or alluvial. Il est également permis de penser que sa côte fut relativement fort peuplée, très tôt, alors que les autres rives du Golfe de Siam l'étaient peu ou pas du tout. Ce fut, dans cette hypothèse, certes, une des raisons majeures qui fixèrent là des comptoirs indiens. Et comme enfin ce pays, qui allait devenir le Fou-nan, offrait en plus de ces avantages de vastes étendues d'alluvions fertiles, tout concourait à en faire la plaque tournante des échanges dans le Sud-est asiatique.

1.1.1 Les repères historiques

 Notre documentation est trop pauvre pour retracer exactement les étapes de la constitution du Fou-nan ; si nous n'en sommes plus réduits aux seules conjectures comme pour le processus de l'indianisation, nous ne pouvons cependant établir la ligne de démarcation entre le légendaire et l'historique, non plus que faire coïncider exactement celui-ci avec les faits archéologiques.

Nous trouvons les premiers renseignements concernant le Fou-nan chez des ambassadeurs chinois qui le visitèrent au milieu du IIIe siècle.

Ils nous rapportent la tradition locale sur la fondation du royaume - mythe qui vient des Indes, au demeurant, et que l'on retrouvera au Champa et au Cambodge angkorien. Un brahmane guidé par un songe navigua vers ces rives, où il rencontra puis épousa la fille du souverain indigène, souvent présenté comme un roi-naga, c'est-à-dire un serpent fabuleux. Ce dernier, afin de constituer une dot pour sa fille, but l'eau couvrant le pays que ses enfants purent alors cultiver .

Cette stylisation légendaire exprime admirablement tout le processus de l'indianisation. D'abord une implantation commerciale, bientôt renforcée par des alliances locales; puis, grâce aux leçons des maîtres indiens et aux efforts collectifs des peuples du cru, l'exploitation des deltas inondés et jusqu'alors hostiles.

Au début du IIIe siècle en tout cas le roi du Fou-nan avait déjà étendu sa domination sur la plupart des pays voisins du Golfe de Siam, et il envoyait des ambassadeurs aux Indes et en Chine. Les contacts avec la Chine ne devaient pas cesser, mais surtout les relations avec l'Inde et l'influence exercée par celle-ci s'accrurent au cours des IVe et Ve siècles. Nous voyons même, vers 357, un Indien régner au Fou-nan, peut-être d'origine scythe et de la souche même de Kanishka, ce qui pourrait expliquer en particulier le succès du culte de Surya et de son iconographie dans l'art founanais. Un autre brahmane indien, au moins, lui succédera. C'est à ce moment que le Fou-nan devint véritablement une grande nation et constitua son art original.

Finalement, nous entrons dans la période qui est suffisamment connue, en particulier par les inscriptions locales en sanscrit, pour que nous donnions des dates et des faits précis. Lc roi Kaundinya- Jayavarman, lui-même issu d'un brahmane venu des Indes, régna sur le Fou-nan entre 478 et 5 l 4. Il entretint des relations suivies avec la Chine. Ainsi un moine bouddhique indien nommé Nagasena portera de sa part à l'empereur de Chine des statues founanaises du Bouddha. Car si la religion dominante des rois du Fou-nan fut le brahmanisme, et plus particulièrement le sivaïsme, le bouddhisme y fleurit aussi très tôt. Dès le Ve siècle deux moines founanais étaient assez versés en sanscrit pour s'installer en Chine et traduire les textes bouddhiques en chinois. On peut juger par là du degré de culture atteint dans ce pays. Le dernier grand souverain founanais fut Rudravarman - 5I4 - après 539 -, fervent vishnuite, à qui nous devons le premier ensemble plastique connu de l'Indochine indianisée.

Peu après le Fou-nan fut conquis par le Tchen-la, autre état indianisé qui s'était développé parallèlement dans les hautes terres de l'Indochine moyenne et qui, par cette fusion, va préparer le Cambodge angkorien.


1.1.2 La civilisation founanaise

Les textes chinois et surtout les récentes explorations archéologiques aériennes, permettent de caractériser brièvement la civilisation founanaise. Son éclat est certain dès le IVe siècle puisqu'il suscitait alors l'admiration des Chinois, juges volontiers contempteurs. Selon eux le pays regorgeait d’or, d’argent, de perles et d’épices. Certes, l’activité essentielle qui avait été à l'origine de son épanouissement et demeurait son ressort fondamental, était bien le commerce. Nous verrons en étudiant les objets recueillis dans une cité founanaise que ces échanges s'étendaient depuis Rome jusqu’ à la Chine. Mais la côte founanaise n'offre que deux ports naturels, des estuaires ; pour le reste, basse et marécageuse, elle ne constitue pas un atterrissage idéal. Des villes ne pouvaient guère s'établir directement sur ce sol spongieux. Et pour que les voyageurs et les marchands installés dans les ports puissent vivre, encore fallait-il assurer leur ravitaillement. La base de toute l'organisation puis de l'expansion founanaise fut donc l'aménagement de l'arrière-pays et son exploitation par l'agriculture. Les maîtres en la matière furent certainement les Indiens, dont nous connaissons les remarquables travaux d'hydraulique agricole et de mise en culture, dans le pays tamoul sous les Pallava ou à Ceylan par exemple. Sur leurs conseils les Founanais purent utiliser la bande de limon qui s'étend entre le Bassac et la côte du Golfe de Siam. L'archéologie aérienne, en effet, y révèle un étonnant réseau constitué par des étoiles de canaux rectilignes, se commandant les unes les autres et disposées selon une trame générale nord-est/sud-ouest, c'est-à-dire du Bassac vers la mer. C'est, en effet, la ligne de pente du terrain et nous supposons assez logiquement que les crues du Bassac la suivaient jadis comme aujourd'hui. Tout comme nous voyons actuellement que la mer remonte facilement par les embouchures des rivières au cours trop lent et vient charger le sol de sel, le rendant incultivable. On peut donc croire que ce réseau founanais servait à évacuer les crues du Bassac vers la mer et à laver du même coup les sols alunés, refoulant les avancées saumâtres et permettant, ainsi, la culture du riz flottant. Simultanément les canaux s'ouvraient à la batellerie qui desservait tout le pays; ils laissaient enfin les navires de haut bord gagner directement les villes installées à l'intérieur des terres, peut-être même, par le Bassac et le Mékong, rejoindre la côte orientale de Cochinchine. Aux centres nerveux de cet écheveau délicat on a découvert d'immenses cités, Où devait se concentrer toute la richesse founanaise. Elles sont ceinturées par des lignes successives de remparts en terre et de fossés, jadis pleins de crocodiles nous disent les auteurs chinois. Les canaux y pénétraient en autant d'artères, les divisant en quartiers. Et l'on peut imaginer les maisons et les magasins sur pilotis bordés de navires, comme à Venise ou dans les villes hanséatiques. Cet ensemble impressionnant, unique en Asie du Sud-est à cette époque, atteste à la fois la puissance économique du pays et sa concentration sociale, explique son pouvoir politique et sa domination.

 1.2 ARCHÉOLOGIE DU FOU-NAN

En dehors de cette organisation de l'espace qui prouve de reste le très haut niveau atteint par les techniques au Fou-nan, nous ne savons pas grand-chose de son art à ses débuts entre le IIIe et le Ve siècle. Certes les textes chinois s'étendent sur son raffinement: le palais du roi était construit en essences précieuses et meublé somptueusement; les Founanais façonnaient des images divines en bronze. En 503 Kaundinya - Jayavarman envoya à l'empereur de Chine une statue du Bouddha en corail et un stupa en ivoire. Une reine du Fou-nan érigera des statues en bronze incrustées d'or. Mais de tout cela il ne subsiste rien, et nous ne connaissons qu'un seul site du Fou-nan : Oc-èo, où des sondages ont livré quelques vestiges architectoniques et une masse de petits objets, que l'on peut regrouper avec les trouvailles de hasard faites dans le reste de la Cochinchine afin de se faire au moins une idée des moyens et des sources de l'art founanais à ses débuts.

1.2.1 Les sources de l'art founanais

Parmi les objets découverts à Oc-èo et dans le reste du Fou-nan, on doit distinguer les pièces importées et les créations locales. Les premières nous intéressent d'abord parce qu'elles attestent et datent un commerce intense et que, d'autre part, elles furent visiblement les sources de la plastique founanaise.

Les oeuvres indiennes viennent au premier rang par leur nombre et leur importance. Une tête de Bouddha d'allure gandharienne, découverte au Ba-thê, pourrait être une des plus anciennes de cette série. Mais on dénombre surtout des bijoux en or, par exemple des bagues ornées d'un bœuf à bosse; ou encore des bagues-cachets gravées de formules commerciales rédigées en sanscrit et dans l'alphabet brahmi. On peut donc les placer entre le IIe et le Ve siècle. Ces mêmes formules se retrouvent sur pierre dure, car les intailles semblent avoir été particulièrement populaires dans ces régions. Exprimées par cette technique on trouve aussi des scènes religieuses: femme effectuant une libation sur un autel du feu, ou présentant une fleur. Ces pièces, tout comme de nombreuses amulettes en étain, portent des symboles vishnuites ou sivaïtes et révèlent l'implantation des religions indiennes au Fou-nan.

Les objets indiens ne sont pas les seuls à être parvenus aux rives founanaises. On y découvre aussi des créations chinoises: fragment de miroir en bronze, qui remonterait aux Han postérieurs; statuettes bouddhiques, en bronze toujours, attribuées aux Wei. Mais surtout on isole un groupe d'objets purement romains. Tout d'abord une médaille en or d'Antonin le Pieux datée de 152 apr. J.-C., puis une autre pièce sans doute de Marc Aurèle; une série d'intailles sur pierre dure ou sur verre présentant, par exemple, un coq sur un char traîné par des souris, une scène érotique, etc., toute une série échelonnée du IIe au IVe siècle qui a le double mérite de dater les sites founanais où elle a été retrouvée et de montrer l'ampleur du commerce à cette époque. Ce que confirme encore un cabochon en pâte de verre bleu orné d'un personnage royal respirant une fleur, certainement d'origine sassanide. Cela ne sera plus pour nous étonner alors que l’on a retrouvé des tessons attiques en Malaisie; que l'on a déterré une belle lampe de bronze décorée d'un masque de Silène, d'époque ptolémaïque, à Pong Tuk au Siam; ou à Pong Tuk encore et en d'autres points d'Indochine des lampes en céramique et romaines cette fois. Ces apports commerciaux expliquent bien mieux que toute autre hypothèse, les quelques influences occidentales reconnues à la fin de la culture de Dong-son. Et leur passage par le Fou-nan est des plus plausibles lorsque l'on songe aux liens étroits et aux affinités ethniques de ces deux systèmes.

Pourtant les oeuvres méditerranéennes ne semblent pas avoir influencé la plastique du Fou-nan et les styles qui en découlèrent, au moins durablement. Aussi bien n'y sont-elles parvenues qu'en petit nombre et de main en main, par l'entremise des Indiens. On ne trouve pas à Oc-èo du moins, de preuves directes du séjour d'Occidentaux, comme cela est le cas dans les ports indiens. Si les auteurs latins et grecs abondent en détails manifestement de première main sur l'Inde, ils sont des plus vagues sur ces régions qu'ils dénommaient l'Inde transgangétique. Il se peut, tout au plus, que ces pièces aient inspiré des techniques au Fou-nan. En particulier l'art de l'intaille, peu pratiqué aux Indes même et qu'on ne retrouvera plus guère attesté en Indochine par la suite, semble avoir brillé au Fou-nan. Il en fut peut-être de même pour l'industrie des perles en verre et en pierre dure, qui fleurit au Fou-nan et fut sans doute une des sources de son commerce.

1.2.2 Les débuts de l'art founanais

C'est donc en définitive bien en Inde qu'il faut chercher les modèles de l'art founanais, qui se constitua durant cette période. Car à côté des objets importés nous trouvons aussi des oeuvres manifestement locales. Au début, à vrai dire, assez modestes et consistant surtout en intailles, en plaques d'étain moulé et en bijoux. Mais elles ont l'immense mérite de nous présenter pour la première fois le visage même de leurs auteurs, d'ouvrir des aperçus sur leurs croyances en même temps qu'elles jalonnent les étapes du premier des arts indigènes formé à l'école indienne.

Les figurations les plus importantes sont sur de belles intailles en pierre dure, et montrent un personnage assis sur un trône bas, une jambe repliée sur le siège, l’autre pendant librement devant, dans l'attitude bien connue de «l'aisance royale» familière à l'iconographie indienne. Parfois il est abrité sous un dais, ou coiffé d'un bonnet conique. On retrouve ce thème sur des plaques d'étain associé, au revers, à un bœuf à bosse, animal royal par excellence. On peut y reconnaître un souverain, voire ce «Roi de la montagne» lui-même qui régnait sur le Fou-nan. Tout aussi importantes sont d'autres intailles montrant la femme aux offrandes d'origine indienne qui, avec les amulettes déjà mentionnées et pour la plus grande part de confection founanaise, prouvent le succès des religions indiennes auprès des indigènes. Enfin, sur d'autres plaques d'étain on croit reconnaître des habitants du Fou-nan, presque sans vêtements, avec de longs cheveux nattés, tout à fait ces «sauvages à demi nus» que rencontrèrent les premiers navigateurs indiens et qui surent se montrer si bons élèves. Les bijoux, en particulier, prouvent que les Founanais égalèrent bientôt leurs maîtres: boucles d'oreille en or au fermoir délicat; admirables filigranés d'or; perles de verre, intailles, etc. On a déjà dit, d'ailleurs, que l'installation puis le développement de ces industries furent sans doute une des sources de la prospérité des Founanais, qui purent alimenter leur commerce car c'étaient là des objets d'échanges admis dans toutes les mers du Sud. Ainsi Ies Founanais auraient été en mesure de poursuivre ce commerce auquel les Indiens les avaient initiés mais dont ces derniers se lassèrent assez vite.

 1.2.3 L'architecture

 la plupart des édifices étaient en bois et sur pilotis, tant pour utiliser directement les artères liquides que pour éviter les inondations. Seulement en dehors de quelques fragments de pieux, rien n'en a subsisté et nous sommes réduits à les imaginer d'après les textes, probablement richement sculptés et meublés, peut-être assez proches des constructions de l'époque préangkorienne que nous décrirons plus loin. Des édifices en matériaux plus durables furent également élevés au Fou-man et l'on a de bonnes raisons de croire qu'il s'agissait alors de sanctuaires, brique et pierre fort rares dans ce pays deltaïque étant réservés aux dieux, comme aux Indes. Nous n'en connaissons que quelques vestiges mis à nu à Oc-èo et bien difficiles, maintenant, à interpréter.

Le plus vaste est l'édifice A de ce site Où l'on a retrouvé des fondations en brique, imposantes, orientées est-ouest et qui pourraient correspondre à la base d'un stupa ou d'un temple. Beaucoup plus intéressant est l'édifice inventorié sous la lettre K, à Oc-èo toujours. Disposé nord-sud il déploie trois niveaux superposés : des fondations en brique; puis une modeste cellule à peu près parallélépipédique constituée d'énormes dalles en granit assemblées par tenons et mortaises réservées sur chacune d'entre elles ; le tout surmonté d'une petite structure dont on a retrouvé les deux frontons vaguement trilobés, également en dalles de granit, qui pouvaient correspondre à une couverture en berceau. A proximité s'élevait un bâtiment annexe en brique comportant au moins trois chambres et entouré sur trois côtés d'une galerie. Il semble bien que l'on ait là une imitation de ces sanctuaires monolithes qui abondent dans l'Inde du Sud et centrale à cette époque. Cette influence de l'architecture gupta ou post-gupta est manifeste à d'autres vestiges épars sur le territoire du Fou-nan, comme les éléments en terre cuite qui servaient à décorer les structures: tuiles et abouts, pilastres ou colonnettes, fausses lucarnes avec la tête d'un personnage apparaissant dans l'encadrement. Deux belles pièces de ce genre ont été découvertes au Nui-sam (fausse lucarne décorant probablement un édifice religieux. Phuoc-co-tu, Nui-sam, Sud Vietnam. Art du Fou-nan : VIe siècle apr. JC. Terre cuite, polychromie moderne, hauteur 0.27m. Musée National de Saïgon - Hochiminh ville).

 Elles révèlent un goût décoratif très sûr et peuvent être datées, d'après les prototypes indiens, des dernières années du Ve ou des premières années du VIe siècle.

Il est possible que cette architecture en matériaux permanents corresponde seulement à la dernière période du Fou-nan, soit surtout au Ve siècle. En tout cas elle atteste bien une influence indienne si forte que l'on déploya des efforts exceptionnels pour reconstituer une architecture monolithe qu'il était impossible, faute de rochers ou de falaises appropriées, de pratiquer comme aux Indes. Mais déjà pourtant on relève des solutions techniques, comme cette formule des dalles assemblées, qui révèlent un esprit nouveau et d'invention féconde, bref les premiers pas d'un art personnel.

1.2.4 La statuaire du Fou-nan

 Aucune grande sculpture n'a été découverte, qui montre la statuaire founanaise à ses débuts. Pourtant, nous savons bien qu'elle existait puisqu'on en expédiait jusqu'en Chine dès les premières années du VIe siècle. Il faut peut-être supposer que jusqu'à cette époque la sculpture en pierre fut très rare, ne serait-ce que par ce que la matériau faisait défaut dans les plaines deltaïques auxquelles se limitait à peu près le royaume durant cette période. On y pratiquait de préférence la fonte des métaux ou bien la sculpture sur bois. De fait on a découvert dans la Plaine des Joncs des bouddhas debout en bois; l'un d'entre eux, admirable, imite si bien les oeuvres gupta qu'on est fondé à le placer vers la fin du IVe siècle. Il prendrait alors la suite des bouddhas indiens déjà signalés, et aussi d'une tête de Bouddha découverte dans le Sud du Cambodge, à Vat Romlok, où transparaissent encore nettement les caractères du style d'Amaravati.


1.2.5
Le style du Phnom Da

Lc premier groupe d' oeuvres que l'on puisse réellement attribuer au Fou-nan se situe dans le premier quart du VIe siècle. Il s'agit de statues vishnuites qui presque toutes proviennent du Phnom Da, haut lieu sacré d'une capitale toute proche: Angkor Borei. Il semble en effet qu'à cette époque le centre du Fou-nan se soit déplacé vers cette région, soit à cause de la pression du Tchen-la, soit encore que des modifications du régime du fleuve aient rendu inhabitable le Transbassac et provoqué une émigration vers les terres émergées en permanence du Cambodge méridional.

Il est de plus possible que le commerce maritime ait, à ce moment, perdu de son importance, partant la façade côtière du pays. Quoiqu'il en fût la statuaire en pierre apparaît ce moment; notons que ce matériau était plus facile à se procurer dans le pays nouveau où se repliait le Fou-nan.

Ces statues ont été très justement attribuées au règne de Rudravarman - 514 - après -539 qui fut un fervent vishnuite comme le proclament ses inscriptions. Les plus belles créations s'échelonneraient exactement durant son règne et ont été classées sous la rubrique de style A du Phnom Da. On mentionnera surtout les deux admirables Krishna govardhana de la collection Stoclet à Bruxelles et du Phnom Da (Krishna soulevant le Mont Govardhana. Vat Ko, Ta Kéo, Cambodge. Haut relief sur dalle de grès faisant sans doute partie d'une grotte sanctuaire artificielle. Art du Fou-nan; style de Phnom Da :entre 514 et 539 apr.JC Grès; 1.61m. Musée National de Phnom Penh), ainsi que deux grands Vishnu, un Balarama, un Parasurama et une Lakshamana, également au musée de Phnom Penh et tous du Phnom Da. L'imitation des modèles indiens est évidente, et plus précisément des sculptures post-gupta du premier style d'Ellora, c'est-à-dire des grottes l à 10, 14 (Ravana ka khai) et 19 (Ramesvara) de ce site, ainsi que des grottes d'Aurangabad et de Deogarh. Et pourtant ce sont déjà des Créations originales qui ne sauraient être confondues avec des pièces indiennes, même par oeil le moins exercé.

Tout d'abord nous trouvons là des sculptures déjà pratiquement en ronde bosse. On sait que l'Inde n'a jamais pu ou voulu ? - évoluer dans l'espace et s'est limitée à un très haut relief adossé, fermé, par un plan - stèle ou paroi. Cette convention fut adoptée telle quelle par le Champa ou Java, qui n'allèrent point au-delà. Or, dès leurs débuts, nous voyons les sculpteurs du Fou-nan chercher dans une autre direction. Sans doute les Krishna govardhana sont-ils adossés à un panneau de pierre. La représentation imposait ce dispositif, puisqu'on n'imagine guère le moyen de rendre en ronde bosse une montagne dressée en équilibre sur une main. D'ailleurs, on ne pouvait au Phnom Da creuser réellement une grotte comme en Inde. Il est donc probable que ces oeuvres constituaient et décoraient du même coup les parois d'une grotte artificielle réalisée par ces panneaux de pierre juxtaposés.

Par contre d'autres divinités, qui devaient être les idoles de ces mêmes grottes-sanctuaires, sont entièrement exprimées dans l'espace et leur dos a reçu autant de soins que leur face. Elles ne sont pas encore entièrement libres. L'artiste craignait probablement d'aventurer dans le vide des masses aussi considérables avec le seul appui fragile des chevilles, et de ciseler, sans support, des extrémités délicates comme les mains et leurs attributs. Cela d'autant plus que les conventions iconographiques indiennes adoptées intégralement imposaient quatre ou même huit bras pour les Vishnu, par exemple.

Aussi le sculpteur founanais a-t-il utilisé le plan de la stèle à laquelle le modèle indien imité était adossé. Mais il dégagea le corps et les bras, éliminant le fond de la stèle pour n'en conserver qu'un halo de pierre en forme de fer à cheval. Sur cet «arc de soutien» assurant tout l'ensemble, il put ciseler facilement les mains et leurs attributs. D'autres solutions techniques, répondant au même besoin de sûreté, ont été conjointement expérimentées. Là, les mains inférieures reposent sur des étais verticaux en pierre réservés avec le socle et constituent, de part et d'autre des jambes, deux supports supplémentaires mais maquillés sous forme d'attributs iconographiques tels que massue ou arme. Ou bien un pan du vêtement est représenté tombant entre les jambes, qu'il renforce; ou, enfin, des étrésillons en pierre sont réservés entre les mains et le cou. Malgré ces artifices, ménagés d'ailleurs avec une habileté Consommée, le Corps est traité intégralement et cerné de lumière.

C'est le progrès le plus considérable de la sculpture indianisée en Asie du Sud-Est: il commandera le développement de toute la statuaire khmère.

Les Corps sont exprimés avec douceur et subtilité à la fois: modelé enveloppant et arrondi, qui indique seulement les grandes masses musculaires, avec discrétion, et pourtant d'une sensibilité frémissante lorsqu'il dessine l'élan d'un mouvement ou le savant équilibre d'un corps au repos, fléchissant légèrement sur lui-même afin de mieux trouver son assise.

Un pagne très court, retenu par une ceinture, drapé autour des reins et sur le haut des cuisses; avec un pan repassant entre les jambes pour venir s'accrocher derrière dans la ceinture, constitue la seule parure de ces statues. Peut-être de vrais bijoux les ornaient-elles dans les sanctuaires. Les coiffures sont intéressantes: tantôt la mitre cylindrique deVishnu; tantôt des perruques compliquées de tresses et de boucles, mais laissant toujours paraître sur le devant - détail caractéristique - une frange de boucles de la chevelure naturelle dont la présence est ainsi suggérée sous la coiffure.

Enfin le calme et la beauté sereine des visages arrondis, au nez mince et busqué, aux yeux étroits en amande couronnés d'arcades sourcilières aiguës et jointives, s'allient admirablement à la pureté de ces créations.

Après le règne de Rudravarman et peut-être .jusqu;au milieu du Ve siècle, date de la soumission du Fou-nan par le Tchen-Ia, on voit cette statuaire se maintenir mais perdre quelques-unes de ses plus belles qualités.

Aussi classe-t-on les oeuvres de cette période, comme par exemple les Vishnu de Tuol Dai Buon et de Chong Pisei, sous la rubrique de style B du Phnom Da. Le traitement du corps devient flou; la coiffure est moins bien rendue parce que mal comprise; l'interprétation du vêtement est également maladroite et une retombée frontale supplémentaire traitée en «queue de poisson» apparaît, qui deviendra une des caractéristiques essentielles de la statuaire khmère.

Parallèle à cet art brahmanique, on trouve encore une statuaire bouddhique que l'on peut raisonnablement classer selon ces deux phases successives du style du Phnom Da. Nous avons déjà vu combien le bouddhisme avait été florissant au Fou-nan. Petit puis Grand Véhicule se partagèrent les faveurs de ses habitants, et il est donc normal d'y trouver des représentations du Sage. Sur ce point, il est vrai, l'exemple doit être venu plus directement de l'Inde qui a créé très tôt un type de bouddha en ronde bosse, en particulier avec le style d'Amaravati. Après la tête de Vat Romlok et les statues en bois - IVe siècle ? - on peut dater du règne de Rudravarman les deux très beaux bouddhas debout découverts également à Vat Romlok et actuellement au musée de Phnom Penh. Ils sont manifestement dérivés des types postgupta encore que, au contraire de ces derniers, ils soient asexués sous la robe collante, caractéristique qui demeurera celle de toute la statuaire bouddhique de l'Asie du Sud-Est.

Comme pour les pièces vishnuites ces oeuvres ont été réalisées en ronde bosse, le seul artifice de renforcement consistant en un voile de pierre sur toute la longueur du socle, où l'on a rendu en relief les chevilles et le bas de la robe. La douceur du modelé tout en courbes délicates, les visages arrondis et comme souriants, le traitement des yeux et du nez sont presque identiques à ceux que nous avons rencontrés sur les pièces brahmaniques du style A du Phnom Da. Particularité qui demeurera au Cambodge, les boucles de la chevelure sont exprimées par de larges spirales aplaties et le chignon, ou ushnisha, est absent ou à peine visible.

Peu après, et cette fois contemporaines du style B du Phnom Da, on peut situer des statues du Bouddha le plus souvent représenté assis. Elles proviennent presque toutes du Sud de la Cochinchine, où les traditions du Fou-nan se maintiendront longtemps. La pièce la plus intéressante est le bouddha de Son-tho (Tra-vinh) : il faut pourtant reconnaître que davantage encore que pour la statuaire brahmanique, le déclin est sensible.

L'intérêt de ces oeuvres est essentiellement historique. De plus il est difficile de caractériser l'école bouddhique de sculpture founanaise, qui semble avoir frayé de nombreuses voies à la fois. Or nous possédons trop peu d'exemplaires pour assurer nos classements, et surtout nous n'avons pas l'occasion d'y rencontrer un ensemble aussi homogène que celui du Phnom Da, dont la haute qualité tient manifestement à la sollicitude royale.

De l'architecture qui correspondit à cette dernière période de l'art founanais, nous ne savons rien : en particulier aucun édifice d'Angkor Borei n'a pu être étudié. Nous ne pouvons qu'imaginer les grottes-sanctuaires artificielles réalisées au Phnom Da au moyen de dalles de grès. Après l'édifice K de Oc-éo, nous voyons donc se maintenir cette imitation scrupuleuse des modèles indiens, grâce à des techniques originales et qui palliaient somme toute fort bien les difficultés locales. On doit encore signaler à Angkor Borei des têtes en stuc: sans doute sont-elles de facture assez pauvre, avec une chevelure stylisée et mal comprise; on doit peut-être les rapporter au VIIe siècle. Leur intérêt est d'attester une architecture en brique décorée en stuc que nous allons bientôt trouver au Cambogde préangkorien, et qui succède peut-être à l'architecture en brique avec éléments en terre cuite antérieurement pratiquée au Fou-nan. Ainsi aurons-nous quelques jalons, modestes, mais précieux pour imaginer la formation de l'art khmer.

Là certes ne se limitaient point les créations founanaises, mais nous ne connaissons rien d'autre. D'ores et déjà pourtant, à la veille de la disparition du Fou-nan en tant qu'unité politique et après plus de quatre siècles de prospérité, nous voyons qu'une évolution complexe - que nous ne devons pas oublier même si nous ne pouvons toute la reconstituer - avait fait naître un art très vite puissant, maître de son esthétique et de ses moyens, souvent original, qui ne doit plus à l'Inde que ses thèmes iconographiques.

Il exprime manifestement une société nouvelle. Malgré les divisions politiques qui vont ensuite morceler l'Indochine près de deux siècles durant, l'art founanais fera sentir ses effets dans toute la péninsule indianisée et il aura été vraiment à l'origine de ses différents styles.

 1.3 LE CHAMPA

 Parallèlement au Fou-nan, bien que moins glorieusement, d'autres États indianisés se formèrent en Indochine. Seulement nous sommes encore plus mal renseignés, s'il est possible, sur leur genèse parce que l'archéologie du reste de la péninsule pour cette époque est encore entièrement à faire.

Seul le royaume du Champa apparaît avec quelque relief. Voisin immédiat des colonies Han du Tonkin et dès le début en lutte avec celles-ci, il est souvent mentionné par les historiens chinois à partir du IIIe siècle.

Vers la fin du IIe siècle de notre ère des états guerriers s'étendaient au sud du Col des Nuages. Ce pays, dénommé Lin-yi par les Chinois, ne laissait pas d'embarrasser ses puissants voisins du nord par des raids constants.

Les Chams, qui l'habitaient, étaient bien entendu issus de ces Indonésiens qui avaient créé la culture de Dong-son. Il est très probable que leur civilisation résulta finalement de cette ancienne tradition combinée avec les influences, dominantes, de l'Inde. Navigateurs hardis s'il en fut, admirablement placés sur les flancs de la route de Chine et au pied des forêts riches en épices, les Chams ne pouvaient qu'attirer très tôt les Commerçants indiens. Nous avons déjà trouvé sur leurs rives le magnifique bouddha de Dong-duong, dérivé de l'art d'Amaravati. Ce n'est sans doute pas un hasard car sous l'influence indienne une principauté se constitua au même emplacement qui se nomma précisément Amaravati ( actuel Quang-ngam) . Presque simultanément d'autres royaumes apparaissaient dans les diverses régions naturelles du pays: le Vijaya dans le moderne Quang-binh; le Khautara dans la plaine de Nha-trang, et le Panduranga dans celle de Phan-rang. Si l'influence indienne fut prépondérante, on ne doit pas pour cela négliger celle de la Chine avec qui les Chams étaient en contact permanent bien que souvent belliqueux, et qui avait déjà si largement modelé la culture de Dong-son.

Les ambassades et les guerres avec la Chine continuèrent d'alterner durant les IIIe et IVe siècles, cependant que des relations étroites furent nouées avec le Fou-nan, qui ne durent pas peu contribuer à diffuser la culture indienne.

Vers 400 nous pouvons situer le premier souverain historique du Champa, Bhadravarman, qui fonda un sanctuaire dédié à Siva dans le cirque montagneux de Mi-son, pour les siècles à venir le centre de tous les cultes royaux. La capitale devait s'élever sur l'emplacement de Tra-kieu où des inscriptions en sanscrit et en cham émanant de lui ont été retrouvées. De son temple, incendié par la suite, non plus que de cette ville nous ne Connaissons aucun vestige. Les Chinois assurent que les Chams, dès cette époque, étaient passés maîtres dans l'art de construire en brique, et il y a tout lieu de croire qu'ils étaient non moins habiles fondeurs et sculpteurs. Cependant jusqu'à la fin du VIe siècle, moment auquel apparaît une nouvelle dynastie, nous ne savons à peu près rien de leur histoire.

C'est durant cette période que dut se constituer leur art, assimilant les diverses leçons dont les Chams avaient bénéficié, car lorsque nous en rencontrerons les premières manifestations au cours du VIle siècle il apparaît déjà comme pleinement formé et original.

1.4 LA PÉNINSULE MALAISE ET LE SIAM

 Il est tentant, au simple vu d'une carte géographique, de supposer que la Péninsule malaise fut le relais essentiel sur la route maritime de l'Inde vers l'Extrême-Orient et joua, par conséquent, un rôle fondamental dans l'expansion de l'art indien. Rien n'est moins sûr pourtant. Nous n'en trouvons aucune preuve archéologique positive dans le sud de la Malaisie, fort peu dans le centre et encore, d'importance secondaire car pour la plupart postérieures au VIe siècle. Et l'on pourrait tout aussi bien les attribuer à l'influence du Fou-nan que nous savons avoir été prépondérante à cette époque. En fait les routes maritimes les plus fréquentées nous semblent avoir été par le sud de Sumatra et à partir de Java, cependant que la route terrestre principale aurait suivi la Birmanie sur l'axe Moulmein- Tavoy/Pra Pathom, ce qui explique bien la prospérité, et cela de très bonne heure, de cette dernière région. Néanmoins dès le IIe siècle de l'ère chrétienne des états indianisés s'étaient formés en Malaisie centrale, et il n'est pas dit que des recherches archéologiques sérieuses ne nous y réservent encore des surprises. Les historiens chinois mentionnent divers royaumes, qui auraient été ensuite soumis par le Fou-nan.

Les plus importants furent ceux du Tembralinga, sans doute l'actuelle région de Ligor ; le Lankasuka, dans le Nord Pérak, à cheval sur les côtes occidentales et orientales de la péninsule. Des textes sanscrits remontant au Ve siècle ont été retrouvés dans ce secteur. A Kuala Selingsing, dans un niveau typique de l'âge du bronze, on a découvert un sceau en Cornaline inscrit au nom de Sri Vishnuvarman, dans un alphabet qui doit être antérieur au Ve siècle et s'apparente à ceux d'Oc-èo. Dans le Kcdah, sur la rivière de Bujang, a été mis à jour un petit bouddha en bronze que l'on peut raisonnablement rapporter aux modèles gupta du IVe siècle et qui est fort proche des pièces contemporaines découvertes à Pong Tuk, au Siam, que nous allons étudier. Les auteurs chinois nous disent que les habitants du Lankasuka, en particulier, habitaient des cités entourées de remparts en brique, et savaient construire des palais en bois couverts en terrasse. Mais là, ou à peu près, s'arrête notre documentation.

Simultanément les Pyus de l'Iraouadi et les Môns du Ménam voyaient s'implanter chez eux, selon un processus que nous connaissons bien maintenant, la civilisation indienne. Dès le VI e siècle au moins, des colonies converties au bouddhisme florissaient autour de romé, de Pagan et de Thaton en Birmanie, de Srideb, de Korat, de Pra Pathom et de Pong Tuk au Siam. Ces deux derniers centres furent, plus tard, englobés dans le grand royaume môn du Dvaravati, sans que nous puissions voir si celui-ci existait dès ce temps-là. En tout cas l'influence gupta y est attestée par des petits bouddhas en bronze dé~couverts à Korat et à Pra Pathom, qui se rattachent et par leur date et par l'influence commune subie au bouddha de Dong-duong, puis aux bouddhas du Fou-nan et à celui de Bujang. Il semble que le bouddhisme se maintint plus longtemps au Siam ou, à tout le moins, plus exclusivement. A Pra Pathom et à Pong Tuk nous voyons ce style du bouddha se perpétuer jusqu'à la création d'un type nouveau justement qualifié de «môn», que nous étudierons. Toutefois ces témoins sont encore trop rares et trop isolés pour que nous puissions avancer davantage leur histoire.

De plus, le problème se complique de par l'influence probable du Fou-nan sur ces régions. L'expansion politique du grand royaume permet de supposer également une influence plastique, qui a pu oblitérer ou modifier les données indiennes.

C'est ainsi qu'à Srideb, par exemple, on a retrouvé un admirable torse de Krishna govardhana, actuellement au musée de Bangkok, si exactement parallèle à ceux du Phnom Da qu'on hésite entre une oeuvre de la même école ou, au contraire, un prototype de l'art founanais.

Reste, en somme, le fait général de l'indianisation à l’œuvre sur toutes les populations de l'Indochine méridionale depuis le IIème siècle au moins, et qui commence de porter ses fruits à partir du Ve siècle surtout. Chaque grande unité naturelle de la péninsule apparaît alors comme le foyer d'une société autonome et solidement organisée. La plus vaste, la plus riche, donc la plus importante fut l'empire du Fou-nan. Il réussit très vite à dominer politiquement ses voisines parce qu'il fonda, outre le commerce, sa puissance sur une économie heureusement diversifiée, depuis les industries jusqu'à l'agriculture intensive. Il a, tout normalement, créé l'art qui nous apparaît comme le plus dynamique, le plus original et le plus beau. Si le Fou-nan disparut ensuite politiquement, il n'en demeure pas moins que toute cette période restera placée sous son signe.

D'ailleurs les indigènes en gardèrent une conscience aiguë: jusqu'à la fondation d'Angkor , par exemple, les souverains khmers se réclameront des monarques universels du Fou-nan que, pour leur part, les souverains de Srivijaya et la grande dynastie des Sailendra à Java prétendront perpétuer .